Internet va-t-il tuer le plagiat ?

Loin de n’être qu’un objet d’opprobre ou de ridicule, le plagiat est presque consubstantiel à la littérature. Considérez la remarquable chaîne plagiaire qui relie Pyrame et Thisbé d’Ovide à West Side Story, en passant par Théophile de Viau et Shakespeare. Ou la description de Cléopâtre par Shakespeare, pompée mot pour mot chez Plutarque… Beaucoup des plus grands auteurs pratiquent en effet le plagiat sans vergogne, voire le revendiquent, comme Montaigne : « Parmi tant d’emprunts je suis bien aise d’en pouvoir dérober quelqu’un, le déguisant et difformant à nouveau service (1). » Car le plagiat, dans sa version légitime, est tentative de s’inscrire dans une lignée intellectuelle, à la façon d’Emerson qui, selon Proust, commençait rarement à écrire sans relire quelques pages de Platon. Les idées sont bel et bien « de libre parcours », comme disent les juristes, et se transmuent continuellement en passant de l’un à l’autre. Certains, tel Schopenhauer, se moquent des plagiaires : « Seul celui qui prend directement dans sa propre tête la matière de ce qu’il écrit est digne d’être lu (2). » Mais d’autres, tel Michel Foucault, se moquent d’être plagiés (« Quel nom dites-vous ? Attali. Mais qui est ce monsieur ? Il a écrit un livre ? Je ne savais pas (3) »). En littérature, le « collage » façon Braque ou Matisse est parfois toléré. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est le copier-coller de l’ère numérique. Paradoxalement, Internet qui rend le plagiat si facile et tentant, le rend aussi fort dangereux, car le Web permet théoriquement de détecter le moindre emprunt inavoué. Quelques récentes victimes des outils de traque électronique (comme Turnitin.com) : Quentin Rowan, l’auteur d’Assassin of Secrets, livre entièrement fabriqué à partir des lambeaux d’au moins douze autres romans d’espionnage ; ou Pal Schmitt, le président hongrois, qui avait copié 200 pages sur les 215 de sa thèse… d’éducation physique. Sans oublier le très prometteur ministre allemand de la Défense, K.T. zu Guttenberg (alias baron zu Googleberg) ou le moins prometteur Saïf al Islam. Mais que les plagiaires amateurs se rassurent : le Web n’est pas (encore) infaillible. La preuve : ce texte lui-même, qui compte son bon lot de plagiats.    

Notes

1| Essais, livre III, chap. 12.

2| Passage tiré de son essai Écrivains et style.

3| Dits et Écrits, t. 2, Gallimard, 1994.

ARTICLE ISSU DU N°32

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