Restos du cœur… sous Louis XIV
Publié en janvier 2015. Par François Dujarric de la Rivière.
Il fait froid. Les plus pauvres en souffrent. Moins froid cependant que dans ce terrible hiver 1709, le plus froid peut-être que la France ait connu au cours de son histoire. Dans ses Mémoires, Saint-Simon évoque la figure de Mme de Pontchartrain. Epouse du Garde des Sceaux de Louis XIV, elle avait inventé à sa façon les Restos du cœur :
« Voilà de quoi cette femme-là était sans cesse occupée sans qu’elle le parût jamais […]. Outre ce qui vient d’être dit, ses aumônes réglées étaient abondantes ; les extraordinaires les surpassaient. Elle avait toute une communauté à Versailles, de trente à quarante jeunes filles pauvres, qu’elle élevait à la piété et à l’ouvrage, qu’elle nourrissait et entretenait de tout, et qu’elle pourvoyait quand elles étaient en âge. Elle avait fondé avec le chancelier et bâti un hôpital à Pontchartrain, où tout le spirituel et le temporel abondait, où ils allaient souvent servir les pauvres […]. De tant de bonnes œuvres, il n’en paraissait que cet hôpital et la communauté de Versailles, qui ne se pouvaient cacher, et dont encore on ne voyait que l’écorce. Tout le reste était enseveli dans le plus profond secret. Elle donnait ordre à tous les matins, et aux choses domestiques, et il n’était plus mention de rien après, et tout dans une règle admirable. Mais l’année 1709 la trahit. La disette et la cherté fit une espèce de famine. Elle redoubla ses aumônes, et, comme tout mourait de faim dans les campagnes, elle établit des fours à Pontchartrain, des marmites et des gens pour distribuer des pains et des potages à tous venants, et de la viande cuite à la plupart, tant que le soleil était sur l’horizon. L’affluence fut énorme. Personne ne s’en allait sans emporter du pain de quoi nourrir deux ou trois personnes plusieurs jours, et du potage pour une journée. Ce concours a eu bien des journées de trois mille personnes, et avec tant d’ordre que nul ne se pressait, ne passait son tour d’arrivée, et avec tant de paix qu’on n’eût pas dit qu’il y eût plus de cinquante personnes. Plus la donnée avait été nombreuse, plus la Chancelière était à l’aise, et cela dura six à sept mois de la sorte. Le Chancelier, ravi de faire aussi ces bonnes œuvres, l’en laissait entièrement maîtresse. Leur union, leur amitié, leur estime était infinie et réciproque ».
François Dujarric de la Rivière