Kingsman : vers un imaginaire climatosceptique ?
Publié en mars 2015. Par Benoît Rittaud.
Depuis quelques jours, la blogosphère climatosceptique bruisse d'une joie nouvelle : le film Kingsman : Services secrets de Matthew Vaughn, sorti en salles il y a peu, ferait la part belle à ceux qui considèrent que l'alarmisme climatique n'a pas lieu d'être. Comme Hollywood n'a jusque là guère brillé par son esprit critique au sujet du climat (à l'image du célèbre Jour d'après de Roland Emmerich), un tel retournement serait, au choix, avant-coureur d'une évolution globale des mentalités, ou reflet d'une tendance existante de l'opinion. Dans un cas comme dans l'autre, ce serait une bonne nouvelle pour les climatosceptiques, tant le terrain de l'imaginaire est un champ de bataille important d'une controverse à qui décidément rien ne semble être étranger.
J'ai voulu me faire un avis sur la question et suis donc allé voir le film. Précisons d'emblée que je n'ai pas la fibre d'un critique de cinéma : ne comptez donc pas sur moi pour des commentaires savants sur les références à James Bond, le jeu des acteurs ou les effets spéciaux. Pour l'avis général du spectateur lambda que je suis, qu'il me suffise de dire que Kingsman est un film plutôt distrayant, efficace dans son déroulement malgré quelques longueurs et lourdeurs, et d'une violence dont l'intention humoristique ne fait pas toujours mouche. Je n'aurais probablement jamais pensé à aller le voir sans cet article de David Archibald (traduit en français ici) qui le présente comme favorable aux climatosceptiques, toutefois j'ai passé un moment sympathique et ne regrette pas d'y être allé.
Kingsman est-il climatosceptique ? Au sens strict, non. À aucun moment n'y est nié le fait que l'homme serait responsable d'un problème autour du climat. La question apparaît pourtant très vite : Richmond Valentine, le méchant milliardaire à combattre (Samuel L. Jackson), fait sienne la théorie, évidemment inspirée de James Lovelock (qui, depuis, a mis beaucoup d'eau dans son vin), selon laquelle le réchauffement climatique serait le strict équivalent d'une fièvre de notre planète. Celle-ci aurait la même fonction qu'une fièvre ordinaire : vaincre une infection. En l'occurrence, les micro-organismes destructeurs seraient les humains eux-mêmes. Le méchant Valentine se propose donc d'exterminer la majeure partie de l'humanité, arguant que c'est ce qui finira par se produire de toute façon.
Ce n'est sûrement pas un hasard si Valentine est diplômé du MIT. C'est en effet ce célèbre institut qui a abrité, entre autres, les recherches ayant abouti au fameux "rapport Meadows" lequel, dans les années 70, prophétisait la non-durabilité de notre modèle de civilisation et une inéluctable catastrophe globale vers le milieu du XXIè siècle. L'allusion est brève, mais le scénariste savait à l'évidence très bien ce qu'il faisait.
Mettre dans la bouche d'un indéfendable méchant des propos pas si loin du discours de certains sur nous autres humains destructeurs de la planète est assez nouveau dans le paysage du divertissement cinématographique. Il convient de mettre en balance cette nouveauté avec un passage du film qui s'en prend aux prêcheurs évangéliques qui nient la théorie de l'évolution et combattent le droit à l'avortement. Il est raisonnable de penser que cette autre critique, qui n'a aucun caractère nécessaire dans le déroulement du film, n'est là que pour limiter le risque d'être perçu comme un cheval de Troie du parti conservateur américain (notoirement climatosceptique, mais qui compte aussi dans ses rangs de nombreux créationnistes et de nombreux opposants à l'avortement). Les producteurs ont pris leurs précautions…
À mon sens, le miroir inversé du film n'est pas le Jour d'après, mais le roman Inferno de Dan Brown. Là, j'en entends qui rigolent… oui, j'ai lu Inferno. Mais je vous rassure : je n'ai pas aimé. (De toute façon, un auteur qui, dans le Da Vinci code, est capable d'enfiler les perles les plus éculées sur le nombre d'or ne peut décemment pas espérer de ma part quelque louange que ce soit. J'ai des principes.) Il est tout de même utile de lire Inferno pour comprendre comment un auteur de bestsellers s'y prend pour utiliser une peur collective à des fins romanesques. Chez Brown, la peur est celle de la surpopulation mondiale et des cortèges de malheurs qui doivent en découler. La référence n'est cette fois pas Lovelock, mais Ehrlich et sa Bombe P. Dans Inferno, le méchant milliardaire (pléonasme, décidément) qui tente de régler le problème à sa façon n'est pas si méchant que ça. On sent bien que, pour Brown, la surpopulation est effectivement un grave problème à résoudre — et la façon de l'auteur de suggérer qu'une stérilisation aléatoire massive de l'humanité "ce serait pas bien mais quand même, hein, il faut reconnaître que" est parfaitement abjecte (raison pour laquelle je viens ici de le spoiler sans remord aucun). Il est d'ailleurs très étonnant qu'aucun des nombreux commentaires que j'ai lus de ce roman n'ait relevé ce procédé particulièrement hypocrite.
À cette aune, la neutralité de Kingsman sur le climat prend donc un certain relief. À mille lieues d'un réquisitoire contre la théorie du réchauffement climatique d'origine humaine, c'est par son silence sur la question qu'il s'oppose à un discours implicite ou explicite typique du carbocentrisme : la binarisation, qui veut que, en fait de climat, ceux qui ne sont pas pour le GIEC sont nécessairement contre lui. Le film nourrit un imaginaire hostile à l'intégrisme climatique sans se croire obligé d'en demander pardon d'une façon ou d'une autre. Nulle allusion au plateau de températures ou au Climategate, certes, mais nulle allégeance au carbocentrisme. C'est bien cette neutralité silencieuse qui fait de Kingsman un allié objectif des climatosceptiques.