Publié dans le magazine Books n° 4, avril 2009. Par Bee Wilson.
Nous ne connaissons souvent de Pinocchio que le dessin animé de Walt Disney et sa pauvre marionnette victime de toutes les vilenies. Mais cette version est aux antipodes de l’histoire racontée en 1881 par Carlo Collodi. Ce révolutionnaire toscan, dont le chef-d’œuvre est plus près des livres pour enfants modernes que des contes de Perrault, n’entendait pas raconter une belle histoire. Plongeant dans l’âpreté du quotidien de l’Italie d’alors, son conte et ses personnages n’ont rien d’enchanteur et Pinocchio, en fait de malheureux pantin, est une épouvantable tête de mule. Disney, apostat ? Peut-être. Mais pourquoi s’en plaindre ? Sous la guimauve, le film qui a fait de Pinocchio un mythe est aussi lourd de sens. Et deux Pinocchio au lieu d’un, ce n’est pas trop pour apprendre à grandir.
Si l’on ne connaît de
Pinocchio que le dessin animé de Walt Disney, la lecture de la version originale risque d’être un choc : Jiminy Cricket, le grillon parlant, est tué par le héros dès leur première rencontre. Cet insecte hors du commun, qui habite la maison de Geppetto depuis un siècle, révèle à Pinocchio une « grande vérité » : il lui conseille solennellement de se trouver un métier utile, sans quoi il n’arrivera à rien de bon. Et d’ajouter qu’il a pitié de son état de pantin. « À ces dernières paroles, Pinocchio se dressa, furieux. Il prit un maillet de bois sur l’établi et le lança contre le grillon parlant. Peut-être ne pensait-il pas le tuer. Malheureusement, il l’atteignit juste à la tête, si bien que le pauvre grillon eut à peine la force de faire “cri-cri”. Et puis, il resta là, aplati contre le mur. »
Nous n’en sommes qu’au chapitre 4 (sur trente-six), et toutes nos attentes sont déjà chamboulées. Chez Disney, l’adorable Jiminy Cricket, invariablement coiffé de son haut-de-forme, est l’indéfectible compagnon de Pinocchio, sa « conscience » lorsqu’...