Publié dans le magazine Books n° 6, juin 2009. Par Mary Beard.
On connaît Auguste en grand empereur, Cicéron en grand orateur et Démocrite en grand philosophe. Mais tous trois étaient aussi de fieffés blagueurs. Dans l’Antiquité, le rire était au cœur de la vie sociale, intellectuelle et politique. Les tyrans s’en servaient pour affirmer leur pouvoir, les peuples pour le fustiger, les poètes pour divertir et les philosophes pour penser. Mais de quelle étoffe était vraiment fait l’humour grec ? C’est l’énigme que tente de résoudre l’helléniste britannique Stephen Halliwell dans une somme consacrée aux théories antiques du rire. Un livre fabuleux, se réjouit Mary Beard, elle aussi professeur de lettres classiques. Mais qui ne nous dit rien de l’humour tel qu’on le pratiquait, rien d’une culture qui nous a enseigné comment plaisanter. Elle initie donc le lecteur moderne à ces blagues grecques, déconcertantes parfois, familières souvent. C’est l’histoire d’un type qui demande à un eunuque…
Au IIIe siècle avant J.-C., tandis que les ambassadeurs de Rome négociaient avec la cité grecque de Tarente, un éclat de rire malvenu coupa court à tout espoir de paix (1). Les auteurs de l’Antiquité ne sont pas tous d’accord sur la cause exacte de l’hilarité grecque, mais tous pensent que ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase romain, conduisant à la guerre.
L’un des récits de la scène incrimine le mauvais grec parlé par Postumius, le chef de la délégation romaine. Les Tarentins n’auraient pu dissimuler leur amusement devant cet homme au très singulier accent et à la grammaire pour le moins défaillante. L’historien Dion Cassius, lui, fait porter la responsabilité de l’affaire sur l’habit romain. « Bien loin de les recevoir correctement, écrit-il, les Tarentins se moquèrent de la toge, entre autres choses. C’était le costume par excellence de la Cité, celui que l’on portait pour se rendre au Forum. Les émissaires l’avaient revêtu pour faire honneur à l’événement, ou par peur – pensant s’assurer ainsi le respect des Tarentins. Au lieu de quoi ils...