Publié dans le magazine Books n° 11, janvier-février 2010. Par John Gray.
Il est à la mode de penser que la crise de 2008-2009 a signé l’échec de la théorie économique orthodoxe, selon laquelle les acteurs agissent de manière forcément rationnelle. La réalité est différente : la chute de l’URSS a créé un excès de confiance du monde capitaliste, dont les théoriciens ont oublié les leçons de leurs maîtres.
Le capitalisme ayant subi l’un de ces chocs qui l’ébranlent périodiquement, les deux dernières années ont donné un second souffle à John Maynard Keynes. Les événements ont montré les limites de la théorie selon laquelle on peut faire confiance à l’économie pour rester stable pour peu qu’on lui laisse quasiment la bride sur le cou. On reparle donc beaucoup du « paradoxe de l’épargne » – les choix rationnels des individus peuvent se révéler collectivement désastreux – et de la nécessité pour l’État de contrecarrer la tendance naturelle du marché à l’anarchie. Keynes est de retour car il avait compris que le capitalisme est très souvent irrationnel. Malheureusement, ceux qui l’invoquent aujourd’hui semblent rarement avoir compris sur quoi se fondait cette conviction.
Le livre d’Akerlof et Shiller fut écrit, pour l’essentiel, avant la crise. On peut cependant y voir une préfiguration du désenchantement actuel à l’égard de la science économique. Selon les auteurs, les théories en vigueur ont le tort de supposer l’être humain beaucoup plus rationnel qu’il n’est. « Ce livre, écrivent-ils, s’appuie sur un nouveau champ de recherches,...