Publié dans le magazine Books n° 12, mars-avril 2010. Par Mary Beard.
Près d’un million de touristes visitent chaque année le site de Cnossos, en Crète. Combien savent que tout, ou presque, y est le fruit de l’imagination d’un archéologue britannique ? Oscillant entre restauration et contrefaçon, la science a noué ici une étrange relation avec l’art et les idéaux du temps. Le plus vieux site de Méditerranée est un formidable miroir du XXe siècle.
Les chefs-d’œuvre de l’art minoen ne sont pas ce que l’on croit. Les fresques aux couleurs vives qui décoraient jadis les murs du palais préhistorique de Cnossos, en Crète, sont aujourd’hui les fleurons du Musée archéologique d’Héraklion, à quelques kilomètres du site. Datant du début ou du milieu du deuxième millénaire avant Jésus-Christ, elles comprennent certaines des plus célèbres images de la culture européenne antique, reproduites sur d’innombrables cartes postales, affiches, et autres tee-shirts : le magnifique jeune « prince » avec sa couronne de fleurs, marchant à travers un champ de lis ; les cinq dauphins bleus évoluant dans leur monde sous-marin, entre vairons et oursins ; les trois
Dames en bleu (la couleur favorite des Minoens) avec leur chevelure noire bouclée, leurs robes courtes, et leurs mains agitées, comme surprises en pleine conversation. Le monde préhistorique que ces œuvres évoquent semble à certains égards lointain et étrange ; pourtant, il paraît en même temps reconnaissable, presque moderne ; et cela nous rassure.
La vérité est que ces célèbres images sont dans une large mesure...