Publié dans le magazine Books n° 17, novembre 2010. Par Pablo Gianera.
Il ne lisait en entier presque aucun livre,mais les annotait à profusion. Lorsqu’il quitta la direction de la Bibliothèque nationale de Buenos Aires, en 1973, le géant de la littérature argentine légua à l’institution un millier de ses ouvrages. Deux employés les ont retrouvés et étudiés.
Plus que par ses lectures, le lecteur se révèle par les usages capricieux ou pratiques qu’il fait des livres. Rien ne le trahit davantage que les annotations et les marques qu’il y laisse. C’est peut-être pourquoi celui qui souligne et recopie compulsivement pour lui-même des phrases sur la couverture ou la page de garde tient à ce que nul autre ne découvre ces traces.
Jorge Luis Borges ne lisait en entier presque aucun livre, mais il les annotait abondamment. Plutôt que de tirer un trait un tantinet sinueux sous une ligne, il transcrivait d’une écriture minuscule des phrases, des citations, des vers, sur les couvertures et dans les marges, qu’il recyclait ensuite invariablement dans ses propres livres.
Borges, libros y lecturas examine ces annotations dans près de 500 ouvrages, acquis depuis son premier voyage en Europe dans les années 1910 et lus – ou relus – pendant qu’il dirigeait la Bibliothèque nationale argentine, de 1955 à 1973. Certains de ces volumes furent donnés par Borges à la Bibliothèque avant de quitter l’institution, frappés du paraphe officiel d’un notaire (un recours nécessaire car le bruit infâme...