Publié dans le magazine Books n° 21, avril 2011. Par Christopher Clark.
Le nazisme ne fut pas seulement un mouvement de petits bourgeois sur le déclin. Dès les années 1920, la fréquentation de l’aristocratie a donné à Hitler le vernis de respectabilité dont il avait besoin. Une fois au pouvoir, le parti a su s’assurer le soutien des élites en distribuant habilement ses faveurs.
L’écrivain et journaliste allemand Friedrich Percyval Reck-Malleczewen évoque dans son journal, à la date du 11 août 1936, sa première rencontre avec Adolf Hitler. C’était à Munich, en 1920, chez le compositeur Clemens von Frankenstein, qui habitait alors la somptueuse villa Lenbach(1). Le futur chancelier, portant guêtres et large chapeau mou, une cravache à la main, se tenait au milieu des tapisseries des Gobelins et des plaques de marbre. Il apparaissait mal à l’aise – aux yeux de Reck tout du moins – dans ce cadre opulent, inconfortablement perché sur le bord de sa chaise, sans égard pour les subtilités de la conversation, « sautant rageusement sur les mots comme un chien affamé sur des morceaux de viande crue ». Finalement, Hitler se leva pour se lancer dans une longue diatribe, tout en cravachant ses jambes. Croyant qu’on s’en prenait à leur maître, les domestiques de Frankenstein accoururent même. Quand Hitler eut terminé sa harangue et quitté les lieux, l’assemblée plongea dans un long silence interloqué. Puis Frankenstein se leva pour ouvrir une grande fenêtre donnant sur le jardin. « Non pas que notre sinistre invité fût sale, ou qu’il empuantît l’atmosphère comme cela...