Lettre à ma mère

« À cette époque, papa avait abdiqué toute velléité de pouvoir, et même d’opinion, sur la vie domestique, enfants compris, pour remettre cela entièrement entre tes mains. Tu étais la plus grande, la plus blonde, celle aux yeux les plus clairs. Tu étais aussi la plus intelligente… Que s’est-il passé après, maman ? Tu demandes souvent à quel moment, à quel âge, j’ai cessé de t’aimer… »

Cette nuit, j’ai rêvé de nouveau que j’étais dans votre maison, celle que vous avez quittée depuis longtemps – et qu’occupent aujourd’hui les bureaux d’une agence de voyage –, délaissant le centre-ville pour un absurde quartier résidentiel où la bourgeoisie a émigré quasiment en bloc, peu après que mon frère et moi sommes partis presque simultanément pour nous marier. Vous aviez déménagé à cause du manque de lumière, disais-tu, et sans doute poussés par ton insatiable désir de changement radical. Mais il serait plus juste de dire ta maison, car si, dans la première où vous avez vécu et où nous sommes nés, mon père avait imposé jusqu’à un certain point ses goûts esthétiques et ses conceptions du confort, dans la maison suivante c’est toi qui as tout choisi, à commencer par le sol, ce sol magnifique sur lequel je me vois en rêve de plus en plus souvent et qui des années plus tard te paraîtrait trop sombre. À cette époque, papa avait abdiqué toute velléité de pouvoir, et d’opinion, sur la vie domestique, enfants...
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Lettre à la mère de Lettre à ma mère, Anagrama

ARTICLE ISSU DU N°24

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