Publié dans le magazine Books n° 36, octobre 2012. Par Elizabeth Kolbert.
Même dans des sociétés où la procréation est un choix, les couples sans enfants sont toujours un peu suspects, tant l’aspiration à fonder une famille est jugée unanimement légitime. C’est dire la charge subversive portée par de récents livres de philosophie qui intiment aux parents de justifier moralement la responsabilité qu’ils prennent pour leur progéniture, pour eux-mêmes et pour le monde. Responsabilité, vraiment ?
En 1832, Charles Knowlton, praticien à Ashfiel, Massachusetts, publia un livre court affublé d’un long titre : « Les fruits de la philosophie. Manuel réservé aux jeunes mariés, par un médecin (1) ». Alors âgé de 31 ans, Knowlton était un « libre-penseur », qui abordait dans cet ouvrage le problème du sexe, ou de la croissance démographique, puisque cela revenait alors sensiblement au même. À l’instar de Thomas Malthus, dont il citait les travaux, Knowlton s’inquiétait des périls de la fécondité. Extrapolant à partir des taux de natalité de l’époque, il prévoyait que la population mondiale doublerait trois fois par siècle. Mais, à la différence de Malthus, qui ne voyait pour seul remède que les épidémies et l’abstinence, lui imaginait des solutions plus agréables. Car, avec un peu d’ingéniosité, ce que Knowlton appelait l’« instinct reproductif » ne débouchait pas nécessairement sur la procréation. Son opuscule fournissait donc aux lecteurs des instructions faciles à suivre.
« Se retirer juste avant l’éjaculation » pouvait, « si on le faisait avec suffisamment de précaution », être efficace (2). Un petit morceau d’éponge, muni d’un fin ruban et inséré dans le...