La tentation de la cruauté
Publié dans le magazine Books n° 38, décembre 2012. Par Stéphane Audoin-Rouzeau.
Quand il ne s’agit plus de détruire l’ennemi pour la menace qu’il représente mais pour lui infliger de la douleur, la violence tend à devenir sa propre fin. Témoin les atrocités commises par les soldats russes et allemands pendant les deux guerres mondiales. Et par les Américains face aux Japonais dans le Pacifique.
La violence, même extrême, s’exerce au combat pour des buts qui sont autres qu’elle-même ; ainsi l’exécution de captifs, blessés ou non, constitue certes une violence radicale, mais qui s’exerce en fonction d’une menace (réelle ou imaginaire, peu importe) que ces derniers peuvent continuer de représenter pour les vainqueurs. Avec la cruauté, en revanche, la violence tend à devenir sa propre fin. Il ne s’agit plus seulement de détruire l’ennemi pour la menace qu’il représente, mais d’infliger de la douleur, de profaner son humanité, de jouir éventuellement d’infliger cette douleur et/ou cette profanation. L’écart phénoménologique est donc grand entre violence extrême et cruauté, en théorie tout au moins, car la distinction, comme on l’imagine, n’est pas toujours aisée à faire dans les sources à notre disposition.
Entre 1941 et 1945, sur le front de l’Est, les pratiques de la...