Le tailleur de caractères
Publié en avril 2025. Par Books.
En 1458, à l’aube de l’imprimerie, Nicolas Jenson, graveur à la Monnaie de Paris, arrive dans l’atelier de Gutenberg à Mayence, envoyé par le roi Charles VII pour apprendre le nouvel art de l’imprimerie mécanique à caractères mobiles. Plus tard, en 1470, installé à Venise, alors capitale de l’édition, Jenson ouvre son propre atelier et, avec des graveurs, des typographes et des imprimeurs, il jette les bases de l’édition moderne, standardise l’écriture, introduit des améliorations techniques. Surtout, il optimise les caractères. Il exerce une influence déterminante sur les graveurs qui vont suivre, comme Claude Garamond. Bien que créateur du Times New Roman, Stanley Morison, le grand historien de la typographie, considérait le Roman de Jenson comme le plus parfait caractère d’imprimerie jamais gravé. Il continue d’être utilisé de nos jours1.
Avec une évidente ambition didactique, El príncipe de la imprenta se présente comme un dialogue sur l’origine et l’expansion des premiers imprimeurs en Europe. Enric Satué met en scène un Jenson mourant, intoxiqué par les vapeurs de plomb, faisant le bilan de sa vie avec Peter Ugelheimer, son associé et ami, qui a l’intention d’écrire sa biographie. Célèbre designer espagnol, Satué livre ici son premier roman. Il y développe une foule d’explications plus ou moins détaillées sur l’art de l’imprimerie à ses débuts : l’origine des majuscules et des minuscules, le rapport entre la peinture à l’huile et la graisse utilisée pour épaissir l’encre, ou encore le nombre de lignes par page des bibles imprimées par Gutenberg. Le descriptif méticuleux est à la fois louable et pesant, juge Diego Areso dans El País. « Les diagrammes, les gravures et les anecdotes techniques sont un régal pour tout amateur de design ou d’histoire, mais ils nuisent au récit, peut-être parce que l’objectif de Satué est davantage d’instruire que de divertir. L’auteur lui-même semble le reconnaître avec ironie, mettant dans la bouche du protagoniste un reproche à son biographe : “Votre histoire manque d’émotion. Le lecteur d’un livre y cherche avant tout la sagesse, mais aussi des émotions qui le touchent”. »
Le progrès de l’imprimerie peut-il être comparé à celui de l’intelligence artificielle ? Interrogé à ce sujet par le journal espagnol Diario 16, Satué répond : « Bien sûr : toutes deux ont contribué à changer la société de leur époque. Ce que Nicolas Jenson et l’Italien Alde Manuce ont réalisé au XVe siècle, Bill Gates et Steve Jobs l’ont réalisé au XXe. Mais l’Histoire s’écrit toujours en caractères d’imprimerie… »
Notes
Four Centuries of Fine Printing (1924).