« Mon ami et éditeur de gauche »
Publié en février 2025. Par Books.
En mai 1970, Kissinger convia à déjeuner à la Maison Blanche son ami l’éditeur Siegfried Unseld, en compagnie de Max Frisch, alors le plus vendu des auteurs de la célèbre maison d’édition dirigée par Unseld, Suhrkamp. Kissinger et Unseld s’étaient liés d’amitié en 1955, quand le premier, sur recommandation d’Hermann Hesse, avait invité le second à l’école d’été internationale qu’il venait de lancer. Dans sa recommandation, Hesse écrivait qu’Unseld « tiendrait sans doute une place importante dans l’avenir de l’édition et de la culture en Allemagne ». Il ne se trompait pas. Suhrkamp publia les plus grands auteurs d’après-guerre et exerça une influence considérable. Willi Winkler parle de « l’amitié de deux survivants » car la famille juive de Kissinger avait fui l’Allemagne nazie, tandis qu’en 1944 Unseld, soldat allemand âgé de 20 ans, cerné par les Russes en Crimée, s’était échappé en nageant pendant huit heures dans la mer Noire.
Doué d’un « flair pour les modes et un génie du marketing », écrit Ben Hutchinson dans le Times Literary Supplement, Unseld était animé au départ par l’ambition de montrer que la littérature sous toutes ses formes pouvait contribuer à aider son pays à renier son passé. Il partageait avec Kissinger l’optimisme politique caractérisant les années d’après-guerre. Les participants de haute volée de l’école d’été internationale, dont certains eurent un destin fameux, se considéraient comme des « citoyens du monde », expression employée par Unseld dans une de ses lettres. En 1970, quand Kissinger l’invite à la Maison Blanche, ils ne sont plus du même bord. Kissinger le présente affectueusement comme « mon ami et éditeur de gauche », car entretemps Unseld avait pris le virage de la contestation soixante-huitarde. Mais plus pour des raisons commerciales que par conviction, écrit Hutchinson.