Le très ambigu succès de Huawei
Publié en février 2025. Par Books.
Huawei est-elle le cheval de Troie du régime chinois dans les télécommunications occidentales ? C’est plus compliqué, explique la journaliste Eva Dou, qui écrit dans le Wall Street Journal et le Washington Post sur la technologie et la politique internationale (ça va bien ensemble, en effet). D’abord, Huawei est une entreprise remarquable fondée par un homme encore plus remarquable, Ren Zhengfei. Fils d’une victime de la Révolution culturelle, il est devenu un ingénieur militaire très apprécié du leadership chinois pour ses inventions, et bien sûr membre du PCC. En 1987, il fonde avec des amis et un capital de 5 000 $ une « entreprise privée collective », un ovni juridique dans un pays encore démuni de règles capitalistes.
Aujourd’hui, Huawei a 200 000 employés (dont 20 % sont membres du PCC) et fabrique tous les équipements pour télécommunications digitales ou pour outils robotiques. C’est une entreprise au dynamisme implacable qui pousse ses employés au-delà de leurs limites (nombreux suicides à l’appui) et qui a prospéré à travers toute la planète (surtout là où les cadres juridiques n’étaient pas trop contraignants) tout en nouant les meilleures relations avec les banques et les grandes sociétés occidentales d'électronique. Huawei doit sa grande percée à la 3G, puis à la 4G, puis à la 5G pour laquelle elle a investi massivement, « au prix d’un formidable risque commercial mais qui s’est révélé incroyablement lucratif », écrit Michael Burleigh dans la Literary Review.
Aujourd’hui Huawei domine la 5G, mais sent aussi le soufre pour avoir commercé avec des pays mis à l’index comme l’Iran, ou collaboré étroitement avec le régime chinois pour contrôler/exploiter les Ouïgours, et plus encore pour être soumise à un système qui lui intime le devoir, en tant « qu’organe de la sécurité d’État », d’inspecter à sa guise « tous les instruments de communication électronique et les équipements et matériels et les installations appartenant à tout individu ou organisation » – en Chine, et implicitement partout ailleurs. Eva Dou fait valoir que la plupart des États imposent aux sociétés de télécom des obligations similaires. Et que les services secrets occidentaux apprécient beaucoup la faculté que leur donne la porosité des équipements Huawei pour pénétrer les systèmes de communication de leurs alliés ou ennemis. Et que Huawei à ce jour n’a jamais été prise la main dans le sac – sauf en commerçant avec l’Iran, ce qui a valu l’arrestation en 2018 au Canada de la fille Ren Zhengfei. Washington a mis la pression sur ses proches alliés pour qu’ils soustraient leurs réseaux 5G à Huawei, mais rogner les ailes du dragon chinois permet également de favoriser l’essor d’une concurrence américaine sur un créneau imprudemment délaissé, le hardware télécom. Huawei aussi manie l’ambiguïté, à la fois féale du PCC et capitaliste acharnée, comme en témoigne sa gestion du personnel ou la démesure de son siège social à Shenzhen ou de son campus à Shanghai (prévu pour 35 000 chercheurs). D’ailleurs, son nom 华为 peut se traduire par « prouesse chinoise » ou « splendide réussite ». Oui, ambigu…