La malédiction des élites

Il s’est longtemps fait le chantre de l’association entre capitalisme et démocratie libérale. L’indéboulonnable éditorialiste du Financial Times avait tressé des guirlandes à ce totem dans son livre de 2004, « Pourquoi la mondialisation réussit ». Mais là, rien ne va plus. « Notre économie a déstabilisé nos politiques et vice versa. Nous ne sommes plus capables de combiner les opérations de l’économie de marché avec une démocratie libérale stable. C’est largement dû au fait que l’économie ne fournit plus la sécurité et la prospérité partagée attendues par de grandes parties de nos sociétés. Un symptôme de cette déception est la perte de confiance dans les élites. »


Le texte prend des accents presque révolutionnaires : « Les gens ont plus que jamais le sentiment que le pays n’est pas gouverné pour eux, mais pour une fraction étroite d’initiés bien connectés qui récoltent presque tous les gains et, quand les choses tournent mal, non seulement sont protégés contre les pertes mais imposent des coûts massifs à tous les autres. » Évoquant l’échec des politiques publiques : les gens ont réalisé que « ces échecs ne sont pas seulement le résultat de la bêtise mais de la corruption intellectuelle et morale des preneurs de décision et des faiseurs d’opinion à tous les niveaux, secteur financier, organes régulateurs, universitaires, journalistes et politiciens ». Le remède ? « Des élites éthiques » – sans quoi « la démocratie devient un spectacle démagogique, cachant une réalité ploutocratique ». Il précise : « Ni la politique ni l’économie ne peuvent bien fonctionner sans un niveau substantiel d’honnêteté, de confiance, de retenue et de loyauté aux institutions politiques, judiciaires et autres. » 


Qui ne souscrirait à ce constat ? écrit l’historien de l’économie Trevor Jackson dans The New York Review of Books. Après quoi, homme de gauche, il se lance dans un étrillage en règle de la litanie de mesures envisagées par l’auteur dans le reste de son livre. Il les juge selon le cas naïves, cosmétiques ou utopiques, et croit pouvoir constater que Wolf, contrairement à ce qu’il annonce, est resté arc-bouté sur son idéologie d’origine. Ce que ne comprend pas l’éditorialiste du Financial Times, soutient-il, c’est que le capitalisme de marché et la démocratie libérale « n’ont rien à voir l’un avec l’autre ». Il juge complètement d’absurde d’imaginer que les élites pourraient se réformer d’elles-mêmes. Seule une pression de nature révolutionnaire serait susceptible de les faire céder.

LE LIVRE
LE LIVRE

The Crisis of Democratic Capitalism de Martin Wolf, Penguin, 2023

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