Deux génocides oubliés

« Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé », disait Faulkner. Où est-ce plus vrai qu’en Allemagne, où, tandis que l’on se confronte toujours aux lourds passifs du national-socialisme et du socialisme est-allemand, ressurgit maintenant un peu reluisant passé colonial. Même si Berlin n’a rejoint la furia colonialiste que tardivement, sa domination entre 1880 et 1918 a en effet égalé voire « surpassé en brutalité celles des autres puissances coloniales européennes », juge l’universitaire germano-namibien Henning Melber. Dans un empire comparativement modeste en taille (une partie de l’Afrique de l’Est, le Togo et le Cameroun, plus l’actuelle Namibie, ainsi que la Nouvelle Guinée et quelques îles du Pacifique – dont les Samoa – et deux confettis sur la côte chinoise), et peuplé d’à peine 50 000 colons allemands, au moins 1 million d’indigènes ont péri dans des conditions souvent épouvantables. La Namibie, notamment, a eu le douteux privilège de subir deux authentiques génocides, ceux des tribus Herero et Nama, et de permettre l’élaboration de méthodes d’extermination appelées à la postérité que l’on sait : transport de populations dans des wagons à bestiaux vers des camps de concentration, travaux forcés d’une telle dureté qu’on n’y résistait en général qu’à peine un an, expériences scientifiques, tatouages, obsession administrative, etc. On comprend qu’après la Première Guerre l’Allemagne ait donc été déclarée inapte à gérer ses colonies (on comprend moins que celles-ci aient été confiées à des puissances coloniales à peine plus édifiantes).


Mais dans son ouvrage, Henning Melber « ne s’attache pas tant à ce qui s’est passé pendant la période coloniale qu’à la façon dont ces événements ont été subséquemment oubliés ou travestis » dans la mémoire collective germanique, écrit Peter Frederick Matthews dans le Times Literary Supplement. Par son épaisseur, l’index des références consultées par l’auteur suffit en effet à montrer que la recherche historique n’a pas chômé. En revanche, la population et la classe politique allemandes témoignent encore quant à elles d’une véritable « amnésie coloniale ». Une amnésie qu’a pourtant tardivement secoué la question de la restitution des œuvres d’art et (surtout) des restes humains frénétiquement collectés par les occupants allemands, lesquels semblaient souvent davantage préoccupés de considérations pseudo-scientifiques (c’est-à-dire raciales) qu’économiques. Hélas, comme le montre l’auteur, ces restitutions ont d’abord été opérées avec maladresse et dans un tel climat de déni « que ce qui aurait dû s’effectuer dans la solennité s’est pratiquement transformé en scandale ». Petite lueur d’espoir : en 2021, les autorités allemandes ont néanmoins reconnu que « les évènements survenus en Namibie constituaient, vus dans la perspective actuelle, ce que l’on pourrait appeler un génocide ». 

LE LIVRE
LE LIVRE

The Long Shadow of German Colonialism: Amnesia, Denialism and Revisionism de Henning Melber, C. Hurst & Co, 2024

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BOOKS n°123

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