Le désamour de l’art

Les sentiments de rejet auxquels s’expose l’art contemporain vont bien au-delà de ceux suscités par les premiers impressionnistes, par exemple, lors du fameux « salon des refusés » ouvert sur ordre de Napoléon III. Le point commun, c’est que les canons de la beauté paraissent bafoués, que l’on perçoit une dégénérescence. Comme ces canons se réfèrent forcément à ce qui existait avant, les critiques sont étiquetés réactionnaires. Mais la réaction contre l’art contemporain désigne aussi autre chose. D’abord ce « contemporain » remonte aux années 1960, ce qui fait tout de même un demi-siècle. Le rejet demeure, alors que l’art impressionniste, lui, a été finalement assez vite reconnu. Ensuite, en dépit de sa diversité, ce dernier restait profondément attaché aux ambitions fondamentales de toujours : créer du sens et du beau par la représentation. L’art contemporain, lui, se targue de faire voler en éclats toutes les aspirations précédentes. La recherche de la beauté et la représentation du réel ne sont plus que des options parmi d’autres. Seule la volonté de faire sens reste présente mais, et c’est la troisième différence, ledit sens peut être pauvre, et même ne tenir qu’à un fil. Bien des œuvres exposées aujourd’hui dans les enceintes les plus prestigieuses se voient et se comprennent en un instant ; le visiteur tourne autour, en quête d’une complexité absente. La violence du rejet tient au sentiment qu’il y a tromperie sur la marchandise. Elle s’associe à de l’amertume, si l’on estime en outre que cette tromperie est le fait d’une illusion collective entretenue par les institutions et le marché. Une illusion signant une spectaculaire vulgarité culturelle, expression d’une époque, la nôtre. L’un des traits les plus intrigants de la situation actuelle tient au fait que, face à la vieille question « Qu’est-ce que l’art ? », les philosophes ont baissé les bras. De leur propre aveu, la seule définition qui résiste au temps est : « L’art est ce qui est présenté comme tel par une institution (un musée, une galerie, une collectivité publique). » Aboli bibelot d’inanité sonore ? Et pourtant non, bien sûr. Alors quoi ?  

ARTICLE ISSU DU N°46

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