Le sexe des anges

Sexe et christianisme ont toujours fait plutôt mauvais ménage – à ce jour y compris. Mais, explique le spécialiste de l’histoire de l’Église à Oxford Diarmaid MacCulloch, le christianisme s’est aussi largement défini par rapport au sexe (en gros, il est contre – le sexe féminin étant, dit Tertullien, le « portail du démon »). En 660 pages truffées d’érudition théologique, MacCulloch expose comment le christianisme naissant puis triomphant s’est construit tout en clarifiant son ambigu rapport à la sexualité, en un cheminement laborieux qui réplique, avec un sérieux décalage, les évolutions des sociétés chrétiennes. Cette ambiguïté, postule l’auteur, procède de la double tradition dont le christianisme est issu : le judaïsme et l’hellénisme, avec leurs approches respectives de la sexualité. 


Ainsi la Bible se focalise sur la question de la fidélité du peuple d’Israël à son Dieu unique et très jaloux, dont la fidélité sexuelle de la femme est la réplique terrestre et le symbole (à part ça, le judaïsme ancien est plutôt décontracté en matière sexuelle, quoique circonspect vis-à-vis de la fornication, de la zoophilie et du célibat). En face, la tradition grecque penche quant à elle vers l’idéalisme platonique ou la modération pythagoricienne, mâtinés de quelques concessions à la nature. Cette confrontation initiale se reflète dans les violents débats des premiers temps du christianisme sur la nature de Jésus-Christ et son degré de « physicalité ». Elle explique aussi quantité de débats subsidiaires, notamment sur la virginité de Marie (« Les théologiens se sont écharpés sur les modalités de la conception, sans exclure aucun orifice et avec un total mépris pour la biologie », ironise The Economist). Bien d’autres conflits relatifs au sexe ont ensuite agité le proto christianisme : circoncision judaïque ou baptême ? Mariage ou célibat (Jésus, qui n’avait pas une grande opinion de la vie familiale, et saint Paul penchaient pour le second) ? Clergé monastique ou marié ? Rôle des femmes dans la première église ? Une question a particulièrement divisé les premiers chrétiens : celle du plaisir sexuel dans le mariage. La tolérance a fini par prévaloir – les époux ont bien « une dette sexuelle l’un envers l’autre » –, mais assortie de conditions : les copulations doivent s’effectuer avec modération, et uniquement dans un but procréatif. Beaucoup de néo-chrétiens préconisaient néanmoins des solutions beaucoup plus radicales, comme la continence absolue (Enkrateia) voire la castration préventive à la façon d’Origène.


Il fut par ailleurs difficile de s’accorder sur d’autres problématiques, plus culturelles que théologiques, comme l’inceste, la polygynie, l’homosexualité, le divorce, le remariage des veuves, la prostitution (« Il faut bien qu’il y ait des égouts pour empêcher qu’une ville empeste », dira saint Thomas d’Aquin). Les différentes branches du christianisme ont d’ailleurs divergé sur certaines d’entre elles, en particulier le mariage des clercs. Il restera toléré dans l’Église d’Orient, les hautes fonctions restant cependant réservées aux moines. En Occident, le mariage, d’abord considéré comme un contrat (« l’alliance de deux hommes : les pères respectifs des deux époux »), obtiendra le statut de célébration religieuse puis de sacrement. Mais à partir du XIIe siècle, les membres du clergé devront rester célibataires, quoique pour des raisons davantage socio-économiques que théologiques. Après Luther, qui n’avait quant à lui rien contre le sexe et avait épousé une nonne, le clergé protestant retrouvera le droit de se marier. Ce débat-là ne semble pas définitivement clos, à la différence de celui – extrêmement sérieux – sur le sexe des anges. Décrits d’abord dans la Bible comme des prédateurs sexuels, puis dans l’iconographie médiévale en troubles androgynes (peut-être des sortes d’eunuques, suggère Diarmaid MacCulloch), les anges semblent en effet avoir désormais disparu de l’affiche… 

LE LIVRE
LE LIVRE

Lower than the Angels: A History of Sex and Christianity de Diarmaid MacCulloch, Allen Lane, 2024

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