Le Navalny chinois

Nous avons la mémoire courte. Souvenons-nous, tout de même : le principal dissident chinois des années 2000, Liu Xiaobo, est mort en détention en 2017. Il était incarcéré depuis neuf ans, son dernier fait d’armes ayant été de contribuer à rédiger et à diffuser la « Charte 08 », inspirée de la « Charte 77 » des écrivains dissidents tchécoslovaques diffusée trente ans auparavant. Dans The New York Review of Books, l’essayiste américain Ian Johnson, de retour aux États-Unis après avoir passé deux décennies dans la Chine de Xi Jinping, salue la biographie « définitive » de Liu, sous la plume du sinologue Perry Link et d’un coauteur chinois anonyme.


Liu est né en 1955. Dans sa prime jeunesse, il avait participé avec un parfait suivisme aux persécutions et humiliations de la Révolution culturelle. Son esprit rebelle s’est révélé lorsqu’il fit des études d’esthétique ; il prit alors le contrepied de la doxa communiste d’après laquelle l’art est objectif et doit refléter l’engagement politique. Devenu une vedette de la contre-culture à une époque où le régime tolérait ce type d’opposition, il se complut dans un narcissisme qui rappelle celui de certains intellectuels français. Il changea complètement d’attitude après un voyage en Europe et aux États-Unis à la veille de Tian’anmen. Revenu à la hâte en Chine pour se mêler aux événements, il harangua les étudiants radicalisés pour tenter de les raisonner : « Ce n’est pas la démocratie [que vous promouvez]. C’est la haine. La haine ne peut conduire qu’à la violence et à la dictature […], ce dont la démocratie chinoise a d’abord besoin c’est de se débarrasser de la haine et de la mentalité de voir partout des ennemis ; ce dont nous avons le plus besoin c’est de calme, de raison et de dialogue […] et par-dessus tout, de tolérance ! » Les étudiants révoltés le traitèrent de poule mouillée.


Emprisonné au lendemain de Tian’anmen au faux motif qu’il en aurait été l’un des instigateurs, il fut relâché deux ans plus tard et entama une longue carrière de dissident au nom de la démocratie et de la justice sociale. Alors qu’il aurait eu maintes occasions de quitter le pays et de s’installer à l’étranger, note Ian Johnson, il tint à rester sur place. Cela lui valut encore trois ans de camp de travail, avant son arrestation définitive en 2008. Il se vit décerner le prix Nobel de la paix en 2010. 

LE LIVRE
LE LIVRE

I Have No Ennemies: The Life and Legacy of Liu Xiaobo de Perry Link et Wu Dazhi, Columbia University Press, 2023

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BOOKS n°123

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