« Islamisme »
Publié dans le magazine Books n° 48, novembre 2013. Par Olivier Postel-Vinay.
Le mot « islamisme » ne vient pas de l’arabe. Ni du persan. Son sens actuel a été introduit par les spécialistes français vers la fin des années 1970. Une fois n’est pas coutume, il sera exporté vers l’anglais et adopté quelques années plus tard par la communauté universitaire internationale, avant de passer dans le langage courant, dans le monde entier. Il désigne… mais là, les définitions diffèrent. Revenons aux sources. Le mot apparaît à la fin du XVIIIe siècle pour désigner la religion musulmane. L’adjectif « islamiste » est utilisé par Chateaubriand en 1803 comme synonyme de musulman. Après quoi l’usage du mot disparaît. Il renaît de ses cendres, dans son acception contemporaine, sous la plume d’islamologues comme François Burgat, Gilles Kepel, Olivier Roy ou encore Bruno Étienne. Ce dernier proposait en 2011 cette définition : « L’“islamisme” est l’utilisation politique de l’islam par les acteurs d’une protestation antimoderne, [le modernisme étant] perçu comme portant atteinte à leur identité à la fois nationale et religieuse. » Une protestation antimoderne historiquement issue des effets du colonialisme occidental. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Olivier Roy dit aujourd’hui que l’islamisme est devenu un « mot en transition, comme marxisme, communisme, fascisme ou socialisme » (lire p. 38). L’échec des Frères musulmans en Égypte plaide en ce sens. Pour l’homme de la rue, cependant, en Occident comme dans les pays musulmans, l’islamisme paraît bien plus vivant et actuel que les autres « ismes » cités par Roy. Réformisme tunisien, salafisme, extrémisme d’Al-Qaïda, État islamique iranien, Boko Haram nigérian, talibans, jihadistes en Syrie : il désigne toujours et partout une idéologie visant à faire de la religion islamique un argument politique. Sans doute archaïque, probablement vouée à l’échec, cette idéologie sculpte une bonne partie de l’actualité planétaire. Elle vaut d’être comprise, en profondeur.