Maîtres espions au XVIIe siècle
Publié en juin 2024. Par Books.
En matière d’espionnage, notre siècle, pourtant bien porté sur la chose, n’a pas beaucoup inventé – dans les méthodes du moins. C’est ce que montrent Nadine Akkerman et Pete Langman en se focalisant sur l’histoire de l’Angleterre sous la reine Elizabeth Ire, et notamment sur l’intense activité barbouzesque au château de Fotheringhay où Marie Stuart vivait les derniers jours de sa captivité. L’infortunée reine d’Écosse tentait en effet de communiquer avec ses ultimes soutiens à Londres en utilisant tous les moyens du temps, de l’encre invisible au chiffrage des lettres en passant par l’emploi d’agents doubles. Hélas, Londres avait un temps d’avance. La correspondance cryptée entre Marie Stuart et un de ses amis, un jésuite incarcéré dans la tour de Londres, était interceptée par l’habile maître espion d’Elizabeth, Françis Walsingham, puis falsifiée pour mieux incriminer la prisonnière. Sur leur dernier échange, le décrypteur londonien dessina un échafaud pour indiquer aux malheureux correspondants qu’ils avaient été piégés et quelque temps plus tard Marie Stuart était décapitée. Les espions du XVIIe siècle disposaient déjà d’un arsenal de gadgets meurtriers digne de James Bond, avec par exemple un pistolet caché dans un chapeau qui tirait quand le porteur baissait la tête. Mais ils avaient considérablement progressé en matière de chiffrage et déchiffrage, avec des machines à clé polyglottes et des inventions de plus en plus sophistiquées, ainsi que dans les techniques de contrefaçon de sceaux, le montage d’opérations et l’utilisation d’ambassadeurs-espions. Pour autant, c’est vraiment dans « l’art noir », celui de la fabrication des poisons, que les avancées furent les plus remarquables (hélas pas dans la mise au point de contre-poisons). Les auteurs fournissent des explications très détaillées sur les différentes techniques. Mais malgré toute sa sophistication, l’espionnage à la Renaissance avait encore un côté artisanal, privé, décentralisé. Il restait l’apanage des maîtres espions qui apparaissaient et disparaissaient au gré du temps avec leur savoir. L’ultime étape, celle de l’institutionnalisation de l’activité, ne sera franchie qu’à la fin du XVIIe, quand Charles II accèdera au trône. On assistera alors « à l’émergence de cabinets noirs […] et à la mise en place d’officines spécialisées et intégrées qui garantiront la préservation des connaissances et la constitution d’archives », écrit Peter Davidson dans la Literary Review. Depuis lors et jusqu’aux prouesses de la Stasi, l’art du contre-espionnage bien sûr progressera encore – mais par une progression en degré, pas en nature.