Publié dans le magazine Books n° 50, janvier 2014. Par Carlos Fraenkel.
La philosophie peut-elle nous aider à résoudre les dilemmes du quotidien ? Évidemment ! C’est la leçon qu’enseigne l’étonnante conversation qu’ont entretenue un philosophe laïc et un groupe de juifs hassidim en rupture de ban. Entre une foi chancelante et une raison qui se cherche, ils convoquent Socrate, Maïmonide, Spinoza et Nietzsche sur toutes les grandes questions : Dieu, la raison, la Torah et le sens de la vie.
« Je suis installé dans mon fauteuil », m’annonce Abraham au téléphone. Ce New-yorkais, membre de la communauté hassidique de Satmar, m’appelle à Montréal, où je suis pour ma part installé – moins confortablement, sans doute – dans mon bureau du département de philosophie de l’université McGill. Comme je n’éclate pas de rire immédiatement, il précise : « Vous ne pratiquez pas la philosophie de fauteuil ? (1) J’ai bien envie d’essayer ! » Après quoi une cascade de grandes questions (et réponses) me tombe dessus : Dieu existe-t-il vraiment ? (Il doute qu’il en existe une preuve.) Le temps et l’espace sont-ils finis ? (Il les croit infinis et se demande si cette histoire de création est un mythe). Y a-t-il de bonnes raisons d’observer les commandements divins ? (« Même en l’absence de Dieu, peut-être en tant que conventions sociales ? ») Je réponds de mon mieux, apparemment à sa satisfaction. Un ami d’ami, au courant de mon désir de philosopher avec des non professionnels, avait donné mon numéro à Abraham. « J’ai quelques proches qui pourraient être intéressés, explique-t-il. Nous formons une sorte de club de discussion clandestin »....