L’Everest, mortelle industrie
Publié en mai 2024. Par Books.
Il fut un temps où gravir l’Everest relevait de l’exploit sportif individuel. Gravir le sommet du monde requiert aujourd’hui de s’adresser à une entreprise spécialisée et de payer 110 000 $ si elle est occidentale, 40 000 $ si elle est népalaise (c’est désormais le cas de 85 % d’entre elles). Les sherpas installent des cordes pour que les clients puissent monter plus aisément. Les équipements sont de plus en plus sophistiqués et légers. On voit les files monter à la queue leu leu comme sur un escalier roulant. Des enfants de 13 ans, des septuagénaires, des doubles amputés même ont atteint le sommet. Mais malgré les progrès de la météo, l’entreprise reste dangereuse. Dix-huit personnes ont trouvé la mort en 2023, un record.
Curieusement, l’annonce d’accidents en série joue plutôt le rôle d’un stimulant, constate Will Cockrell dans un livre à la tonalité désabusée. La terrible saison 1996, racontée par Jon Krakauer dans Tragédie à l’Everest, a dopé la demande. Pour les amateurs d’émotions paradoxales, le changement climatique est au rendez-vous : la station qui mesure la température vers 5 000 mètres d’altitude enregistre un refroidissement régulier au fort de l’été depuis quinze ans. Heureusement les hélicoptères veillent, rappelle Carl Hoffman dans The Washington Post ; il s’étonne que Cockrell oublie de les mentionner. Pour se porter candidat, il faut être riche et de préférence malheureux (divorce, deuil…). Pour les sherpas, l’objectif est transparent : bien gagner sa vie. Certains sont d’extraordinaires grimpeurs (l’un d’eux a atteint 29 fois le sommet). Ils ne sont pas toujours sûrs de bien comprendre les motivations de leurs clients. Un sherpa cité par Cockrell demande : « Pourquoi viennent-ils ici chercher des choses qu’ils n’y ont pas perdues ? »