Les mains de mon père

Nous restâmes assis l’un en face de l’autre jusqu’à la tombée de la nuit. Je regardais fixement son visage sans descendre vers ses mains. Les mains de mon père : je ne les ai plus touchées depuis ce soir-là.

Il arriva après son travail, vit la chambre vide et ne retira pas son uniforme de facteur. Certains hommes ont besoin d’un uniforme sur eux plus que d’alcool dans le corps. Je l’attendais assise à la cuisine. Je dis : « Papa ? » Il répondit : « Oui. » Il vint s’asseoir en face de moi et nous nous sommes regardés. « Je confirme ce qu’a dit ta mère. » Il attendit une réaction de ma part. Je n’en avais pas. Nous restâmes assis l’un en face de l’autre jusqu’à la tombée de la nuit. Je regardais fixement son visage sans descendre vers ses mains. Les mains de mon père : je ne les ai plus touchées depuis ce soir-là. Nous restâmes face à face : un facteur en uniforme et une fille de vingt ans qui pour la première fois avait un père, un homme recherché pour crimes de guerre. Lesquels et combien : j’ai voulu l’ignorer. Je ne crois pas à l’importance des détails. Ils sont utiles dans un procès, mais pas pour une fille : la circonstance horrible devient atténuante car elle réduit le crime à...
LE LIVRE
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Le Tort du soldat de Les mains de mon père, Gallimard

ARTICLE ISSU DU N°52

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