Publié dans le magazine Books n° 54, mai 2014. Par Anson Rabinbach.
Alors que les élections européennes du 25 mai s’annoncent comme une déclaration de désamour des peuples à l’Europe, la voix indignée du philosophe Jürgen Habermas se distingue. En colère contre des élites politiques à l’esprit étroit, au comportement égoïste et au regard myope, il appelle à la réinvention du projet européen, seul à même de faire face aux défis économiques, écologiques ou politiques de la mondialisation.
Que dit l’interminable crise financière de la viabilité politique d’une Europe unifiée ? Confirme-t-elle le fameux « déficit démocratique » dont on l’accuse, cette anxiété générale que fait naître « le doux monstre de Bruxelles », pour reprendre le titre d’un récent ouvrage de l’intellectuel allemand Hans Magnus Enzensberger (1) ?Est-ce la preuve que les différences économiques, culturelles et sociales existant entre les vingt-sept États membres sont décidément inconciliables, et que la cohésion se paie au prix de la domination condescendante des « pays fondateurs » les plus puissants – l’Allemagne et la France – sur les membres économiquement plus faibles, et aujourd’hui totalement démoralisés ? Il y a dix ans encore, juristes et intellectuels s’interrogeaient sur les conditions de réalisation d’une démocratie à l’échelle européenne. Exigeait-elle un héritage culturel commun, puisé dans l’identité ethnique, la religion et l’histoire nationale ? Ou bien le partage de valeurs morales, d’institutions communes et d’idéaux sociaux était-il créateur de liens transnationaux suffisamment forts ? Aujourd’hui, on se demande si une démocratie européenne est seulement possible.
Jürgen Habermas, le...