Publié dans le magazine Books n° 58, octobre 2014. Par Louis Menand.
Fausses alertes, bombes larguées par erreur, missiles manquant de peu d’exploser dans leurs silos… La courte histoire de l’arme nucléaire est émaillée de milliers d’incidents graves, longtemps tenus secrets, qui ont failli plus d’une fois plonger le monde dans la guerre. Car ces systèmes complexes sont particulièrement vulnérables à l’erreur humaine ou l’avarie matérielle. Au moment où la prolifération reprend de plus de belle, il est inévitable qu’une explosion accidentelle se produise un jour.
Le 25 janvier 1995, à 9 heures 28 du matin heure de Moscou, un assistant tendit une mallette au président russe Boris Eltsine. Une petite diode était allumée près de la poignée ; à l’intérieur, un écran affichait des informations au sujet d’un missile lancé quatre minutes plus tôt dans les environs de la mer de Norvège et semblant se diriger vers Moscou. Au-dessous était disposée une rangée de boutons. Il s’agissait de la mallette nucléaire russe. En pressant ces boutons, Eltsine pouvait ordonner des frappes immédiates contre des cibles dans le monde entier. Les missiles, sous-marins et bombardiers nucléaires russes étaient en état d’alerte maximale. Le président avait à sa disposition 4 700 têtes nucléaires prêtes à être lancées.
Son chef d’état-major, le général Mikhaïl Kolesnikov, avait lui aussi sa mallette et suivait en temps réel la trajectoire de l’engin. Le radar indiquait que des étages de la fusée avaient été largués en cours d’ascension, signe qu’il pouvait s’agir d’un missile balistique de portée intermédiaire du même genre que le Pershing II, déployé...