Publié dans le magazine Books n° 62, février 2015. Par Jakub Grygiel.
Le Prince de Machiavel est jugé incontournable pour qui veut comprendre l’art de gouverner, cet art de gérer la peur de l’autre, selon le Florentin. Et si Le Petit Prince nous offrait une meilleure intelligence du politique en faisant l’éloge de l’amour d’autrui ? L’idée est moins loufoque et naïve qu’il n’y paraît : l’amitié et la confiance sont les fondements du seul ordre démocratique durable.
À la différence du
Prince de Machiavel,
Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ne figure pas dans la bibliothèque idéale des politologues et autres spécialistes de relations internationales. Cet autre livre princier devrait pourtant s’y trouver. Non que le classique de l’illustre Florentin, publié au début du XVIe siècle, soit surestimé ou manque de clairvoyance. Bien au contraire : Machiavel est un observateur acéré du jeu politique, souvent violent et volontiers personnel, qui fait l’histoire. Et il offre un éclairage intemporel sur le comportement des hommes et des femmes, des puissants et des faibles, des individus et des masses. Mais, à l’image des interprétations semblables issues d’autres cultures – comme le
Qâbus-nâmeh (« Miroir des princes »), le classique persan du XIe siècle que nous devons à Unsur al-Ma’âli Kay Kâ’ûs –, Machiavel propose une vision de l’ordre politique au mieux incomplète, au pire trompeuse.
Le Petit Prince lui apporte un important correctif.
Saint-Exupéry et Machiavel (on pourrait y ajouter Hobbes, qui est à bien des égards l’héritier intellectuel en ligne directe du Florentin) écrivirent l’...