Publié dans le magazine Books n° 64, avril 2015. Par Jacek Hugo-Bader.
C’est un homme comme on n’en rencontre peut-être que là, dans ce Far-East russe qu’est la région de la Kolyma. Car l’ancien cœur du Goulag a aujourd’hui un parfum d’eldorado. Aleksandr Aleksandrovitch Bassanski, vétéran des services spéciaux et grand admirateur de Vladimir Poutine, y a fait sa fortune dans les mines d’or et la dilapide avec ostentation. Portrait d’un homme qui aime le sucré, exhibe ses cicatrices, et à qui tout est permis.
Onzième jour
Sokol. Kilomètre 49 de la route
Pour décrire la journée d’aujourd’hui, il faut une feuille grande comme la carte de la Russie à l’échelle 1/100 000, donc une bâche de la taille d’un parachute. C’est une métaphore assez loufoque, j’en conviens, mais je viens seulement de dessoûler, ou presque. Après une beuverie faramineuse. Je me suis pris une sacrée cuite, mais ce n’est rien comparé à celui qui était au volant… L’horreur ! Il fonçait à cent quatre-vingt-dix kilomètres à l’heure, heureux comme un gamin sur les montagnes russes. Bien sûr, il n’était pas question d’attacher la ceinture de sécurité. Il ne m’a tout simplement pas laissé faire. Il faut qu’il puisse profiter des privilèges qu’il a.
Il filait ainsi sur la route de la Kolyma qui, jusqu’à Palatka, est certes bétonnée, voire asphaltée, mais cela ne l’empêche pas d’onduler comme la mer d’Okhotsk en pleine tempête. Toute route qui court sur du permafrost ondule forcément. Chaque année, le sol dégèle...