Souriez, vous êtes fliqués !
Publié dans le magazine Books n° 123, janvier-février. Par Zephyr Teachout.
Depuis le début du siècle, les technologies de surveillance appliquées au monde du travail sont en plein essor. Les moindres faits et gestes des employés peuvent être épiés, leurs conversations écoutées, leurs e-mails consultés, leur productivité mesurée. Et cela influe sur leur rémunération. Quelles conséquences pour la démocratie ?
Il y a quelques dizaines d’années, lorsque j’ai emménagé à New York, j’ai répondu à une petite annonce pour devenir l’assistante personnelle d’une écrivaine. Je m’imaginais en amanuensis, transcrivant ses déclarations inspirées pour en faire des poèmes. Au lieu de cela, je commandais et retournais des pulls, planifiais des séances chez le coiffeur et organisais des repas en trois services pour des personnalités du monde des lettres que je n’ai jamais pu rencontrer. Ma patronne, son mari gestionnaire de fortune et leurs enfants vivaient sur Park Avenue, à Manhattan, dans un penthouseavec rideaux géorgiens aux fenêtres et triple vitrage. Elle avait à son service toute une ribambelle de gens : coachs sportifs, personal shoppers, un professeur particulier de poésie et un autre d’opéra. J’étais l’une des quatre employées à temps plein, avec deux nounous irlandaises logées sur place et une femme de ménage française. Quand venait notre pause déjeuner de trente minutes, nous nous précipitions toutes les quatre dans la cuisine pour actionner le petit robinet doré dont...