« Je me souviens du Goulag »
Publié dans le magazine Books n° 116, novembre-décembre 2021.
Après l’invasion de la Bessarabie par l’URSS en 1940, Euphrosinia Kersnovskaïa est déportée. Elle a un peu plus de 30 ans et des principes à toute épreuve. Dans le convoi qui la mènera en Sibérie au terme d’un interminable voyage, elle s’accroche à son humanité.
Je ne me rappelle plus comment je me suis retrouvée dans ce train. Je me souviens de la foule, des soldats, des cris, des coups, de la cohue… Et du wagon, bourré à craquer de gens affolés et dépenaillés.
Et je me souviens du coucher de soleil, si paisible.
Un militaire avait longé deux fois le convoi à la recherche d’un médecin. Voyant que personne ne se présentait, j’ai déclaré qu’étant aide-vétérinaire, je pouvais, le cas échéant, aider un être humain s’il n’y avait personne de plus qualifié. On m’a emmenée. Je n’ai pas eu à aller bien loin : on avait besoin de moi dans le wagon voisin.
Oh, nous avions de la chance dans notre wagon ! Chez nous, il n’y avait qu’une demi-douzaine d’enfants, dont le plus jeune avait déjà six ans. Et nous n’avions pas de malades, si l’on ne tient pas compte de deux vieilles femmes. Mais...