Les malheurs de Mary
Publié dans le magazine Books n° 114, juillet-août 2021. Par Jean-Louis de Montesquiou.
Avec Le Dernier Homme, Mary Shelley a écrit l’un des premiers romans dystopiques de l’Histoire. En 2073, une mystérieuse « pestilence » surgie d’Asie décime la planète, laissant l’unique survivant de cette hécatombe face à sa solitude.
Shelley et Mary Godwin (1877), de William Powell Frith. À 17 ans, la future auteure de Frankenstein tombe dans les bras du jeune poète Percy Shelley, alors marié.
Imaginez : le monde est ravagé par une pandémie – une « pestilence » – qui nettoie toute l’humanité, sauf Lionel Verney, « le dernier homme », étrangement immunisé. A-t-il gagné au change ? Apparemment non, puisqu’on le voit errer dans une Italie déserte, partagé entre idées suicidaires et vaines tentatives pour trouver un semblable, inscrivant des messages sur les murs de maisons abandonnées. Dans ce roman dystopique (peut-être le premier du genre1), Mary Shelley déverse les réserves de noirceur que n’avait pas épuisées son premier roman, Frankenstein2. Une noirceur bien compréhensible, au vu des circonstances de sa vie : une avalanche de malheurs avec de rares embellies. Les malheurs commencent le jour même de sa naissance, puisqu’en recevant la vie elle l’ôte à sa mère, la romancière et philosophe Mary Wollstonecraft, une protoféministe aux idées et aux mœurs avant-gardistes [lire « Une “nouvelle espèce” de femme », p.76]. C’est son père, William Godwin, un philosophe politique
anarchiste, sombre et totalement impécunieux, qui l’élève avec sa seconde épouse. À 17 ...