Ces garçons qui décrochent
Publié dans le magazine Books n° 44, juin 2013. Par Peg Tyre.
Partout, les élèves masculins sont distancés. Dans tous les milieux, et à tous les niveaux, de l’école primaire à l’université en passant par le secondaire. Tant et si bien que le phénomène est devenu un sujet de préoccupation majeure aux États-Unis. Mais que faut-il incriminer ? L’organisation de l’enseignement, les excès du féminisme, la biologie ou, tout simplement, la réussite des filles ?
Il suffit de passer quelques minutes au téléphone avec Danny Frankhuizen pour se dire, en raccrochant : « Quel charmant garçon ! » Il est réfléchi, intelligent, s’exprime bien. Il a de bonnes relations avec sa mère, va à l’église tous les dimanches, adore le groupe de rock Phish et passe des heures chaque jour à pratiquer la guitare. Mais dès qu’il se retrouve à l’intérieur de son immense lycée de Salt Lake City, tout semble aller de travers. À 16 ans, il ne sait pas s’organiser. Il finit ses devoirs, puis ne les retrouve plus dans son cartable. Il est incapable de maintenir son attention pendant les cours, et, avec quarante élèves à gérer, les profs ne lui sont pas d’un grand secours. « Quand je ne comprends pas quelque chose, ils me disent de me débrouiller tout seul », confie Danny. L’an dernier, ses notes sont tombées de B à D, et même F. Lui qui rêvait naguère de Stanford remonte à présent la pente, mais il redoute « de ne pas même réussir à intégrer une université de seconde zone ».
Sa mère, Susie Malcolm, une prof de maths divorcée, témoigne du déchirement que ce fut de contempler son fils perdre pied. « J’essaie de me convaincre qu’il va s’en sortir, explique-t-elle, mais c’est déprimant de voir ces portes qui se ferment et ces perspectives qui s’évanouissent. » Qu’est-ce qui ne va pas, chez Danny ?
Selon presque tous les critères, les garçons dans l’ensemble du pays, quel que soit le groupe démographique, sont en train de décrocher. Dans le primaire, ils ont deux fois plus de risques de se voir diagnostiquer des troubles de l’apprentissage que les filles, et deux fois plus de probabilités d’être placés dans des classes d’éducation spéciale. Les lycéens sont dépassés par les lycéennes dans les tests d’aptitude normalisés en rédaction. Selon une étude de l’université du Michigan, le pourcentage des garçons disant n’avoir pas aimé l’école a augmenté de 71 % entre 1980 et 2001 (1). Mais c’est à l’université que l’évolution est la plus manifeste. Dans le premier cycle, il y avait, voilà trente ans, 58 % de jeunes hommes ; ils sont désormais en minorité, à 44 % (2). La différence croissante de performance entre garçons et filles « a des conséquences considérables pour l’économie, la société, la famille et la démocratie », a déclaré la secrétaire à l’Éducation de George Bush, Margaret Spellings.
Tandis que des millions de parents se font des cheveux blancs, les spécialistes de l’éducation cherchent de nouvelles méthodes pour pallier les difficultés des garçons. Des livres comme le bestseller de Michael Thompson Raising Cain (3), ou l’ouvrage de référence du psychologue de Harvard William Pollack, Real Boys (4), sont devenus des lectures incontournables en salle des profs. 15 000 enseignants se sont inscrits aux séminaires de l’Institut Gurian, créé par le thérapeute familial Michael Gurian en 1997 pour aider les éducateurs à aider les garçons. Même la fondation Gates, qui a déboursé près d’un milliard de dollars pour les écoles expérimentales au cours des cinq dernières années, a décidé de se concentrer sur ce problème. « Aider les garçons ayant des problèmes de scolarité fait désormais partie de notre mission essentielle », explique Jim Shelton, le responsable de l’éducation au sein de la fondation.
Mais le problème ne sera pas résolu du jour au lendemain. Depuis une vingtaine d’années, le système éducatif américain se focalise sur une forme quantifiable et étroitement définie de la réussite scolaire, affirment les experts, et cette vision réductrice nuit aux garçons. Ceux-ci sont différents des filles du point de vue de leur biologie, de leur développement, et de leur psychologie – et le corps enseignant doit apprendre à tirer le meilleur de chacun. « Des personnes animées des meilleures intentions du monde ont mis en place un modèle éducatif qui fait complètement l’impasse sur les différences biologiques », explique le Dr Bruce Perry, un neurologue de Houston qui défend les enfants en difficulté. Il y a trente ans, c’étaient les filles et non les garçons qui accusaient un retard. Le titre IX de la loi fédérale de 1972 sur l’éducation a obligé les écoles à leur offrir les mêmes opportunités qu’à ceux-ci, en salle de classe comme sur le terrain de sport. Pendant les deux décennies suivantes, on a englouti des milliards de dollars pour trouver de nouveaux moyens d’aider les filles à réussir. En 1992, l’Association américaine des femmes à l’université publiait un rapport expliquant que le « titre IX » n’avait pas atteint tous ses objectifs, et qu’elles étaient toujours derrière en maths et en sciences. Mais, vers le milieu des années 1990, ces demoiselles avaient réduit l’écart en maths, et elles étaient désormais plus nombreuses que les garçons à choisir les options chimie et biologie dans le secondaire (5).
Les dévoiements du féminisme
Des universitaires, notamment Christina Hoff Sommers, de L’American Enterprise Institute, imputent la responsabilité du décrochage des garçons aux dévoiements du féminisme. Dans les années 1990, confie-t-elle, alors que les filles progressaient clairement et régulièrement vers la parité à l’école, les enseignantes féministes continuaient à les juger défavorisées et leur prodiguaient un maximum de soutien et d’attention. De leur côté, les garçons, dont les performances avaient déjà commencé de péricliter, étaient abandonnés à leur sort, et on laissa leurs difficultés s’aggraver.
Les garçons sont depuis toujours des garçons. Ce qui a changé, c’est ce qu’on attend d’eux en termes de comportement et d’apprentissage à l’école. Ces dix dernières années, du fait de l’implication de certains parents dans la réussite de leurs enfants, la qualité des établissements a été mesurée de deux manières simples : le nombre d’élèves en « cours accélérés (6) », et l’obtention systématique de bons résultats aux examens. On fait désormais communément passer des tests d’évaluation aux bambins dès l’âge de 6 ans. Et les programmes scolaires sont devenus beaucoup plus contraignants. Plutôt que de laisser aux professeurs la possibilité d’adapter le contenu et le rythme de l’apprentissage à chaque classe, on leur dicte dans certains États ce qu’il convient d’enseigner, quand et comment (7). En même temps, le nombre d’élèves par professeur a augmenté, la part dévolue à l’éducation physique et aux sports a diminué, et les récréations longues ne sont plus qu’un lointain souvenir (8). Ces nouvelles contraintes réduisent les points forts et accentuent les points faibles de ce que les psychologues appellent désormais le « cerveau de garçon » – ce comportement agité, brouillon, très agaçant mais parfois brillant, dont les scientifiques pensent aujourd’hui qu’il est non pas acquis mais inné [lire ci-dessous « Le cerveau masculin est-il plus fragile ? »].
Déficit de l’attention
En conduisant Sam, son fils de 3 ans, chez un pédiatre, pour vérifier s’il était atteint du « trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité » (TDA/H), Cris Messler, de Mountainside, dans le New Jersey, symbolisait le désespoir que peuvent éprouver les parents. Sam est un gosse plein d’énergie, et sa mère s’est surprise à espérer un diagnostic positif (9). « Si j’avais obtenu cet avis du docteur, j’aurais pu donner un médicament à Sam. » Mais le médecin a dit que son fils était tout à fait normal. Sa scolarisation a cependant été difficile. Pour la lecture, c’est une catastrophe, selon son institutrice. Son instituteur de CP se plaint de son excitation permanente et lui-même, à présent âgé de 7 ans, se dit « stupide ». Cris Messler est soulagée que son fils n’ait pas besoin de traitement, mais se demande ce qu’elle peut bien faire pour l’aider dans sa scolarité.
Chez de nombreux garçons, le problème commence dès l’âge de 5 ans, quand ils apportent en maternelle des capacités mentales et physiques très différentes de celles des filles. Comme presque tous les parents le savent, la plupart des gamines de 5 ans s’expriment mieux et savent reconnaître plus de mots. Les garçons ont une meilleure coordination visuomotrice, mais leurs gestes sont moins précis et certains peinent à contrôler le crayon ou le pinceau. Ils sont plus impulsifs que les filles, et même s’ils peuvent rester assis sagement, beaucoup préfèrent ne pas – du moins pas longtemps.
Il y a trente ans, les féministes faisaient valoir que le comportement « masculin » classique était socialement déterminé ; aujourd’hui, les scientifiques pensent au contraire qu’il résulte de la différenciation chimique du cerveau mâle. Pendant le premier trimestre de la gestation, le fœtus masculin commence à produire des hormones sexuelles mâles qui vont imbiber son cerveau de testostérone pendant les mois suivants. « Cette exposition à la testostérone produit une conformation différente du cerveau masculin », déclare Arthur Arnold, professeur de physiologie à l’université de Californie à Los Angeles. Comment ? Les scientifiques ne savent pas exactement. Mais de nouvelles études montrent qu’une exposition prénatale aux hormones sexuelles mâles affecte directement la façon dont les enfants jouent. Les filles dont la mère a eu un haut niveau de testostérone durant la grossesse sont plus enclines à jouer avec des camions qu’avec des poupées (10).
Dans les classes du primaire, où les instituteurs insistent sur l’acquisition du langage et valorisent la capacité de rester assis tranquillement et de parler chacun à son tour, le divorce entre les garçons et l’école peut devenir patent. « Le comportement des filles se transforme en référence absolue, explique Michael Thompson. Les garçons sont traités comme des filles déficientes. » [Lire ci-dessous « Le décrochage des garçons en France »]
Il y a deux ans, la directrice d’une école élémentaire de Boulder, dans le Colorado, a pris acte de cette différence entre les sexes et décidé de faire quelque chose. Les garçons avaient un handicap de 10 points sur les filles en lecture et de 14 en écriture. Ils étaient aussi beaucoup plus nombreux à être considérés comme souffrant de difficultés d’apprentissage. Elle a demandé à ses enseignants d’acheter le livre de Michael Gurian, The Minds of Boys (11), consacré aux moyens d’adapter les classes aux garçons, et s’est lancée à l’automne 2004 dans une expérience assez hardie. Autant que possible, les instituteurs devaient remplacer le temps consacré à la lecture par des séances interactives et animées appréciées de tous les enfants. Il y a trois semaines, plutôt que d’organiser une discussion autour d’un roman de l’auteure pour enfants E.L. Konigsburg, l’une des enseignantes a ainsi divisé ses élèves de CE2 en trois groupes, un enfant de chacun d’eux devant jouer le rôle d’un personnage du livre. Cela donne des classes plus bruyantes, dit-elle, mais où les garçons réduisent l’écart. Au dernier trimestre, les filles de l’école ont obtenu une moyenne de 106 au test d’écriture, et les garçons un fort respectable 101.
Jeunes primates
Les primatologues le savent depuis longtemps, les jeunes chimpanzés mâles ne se bagarrent pas seulement pour l’accès à la nourriture et aux femelles, mais aussi pour établir et conforter leur position hiérarchique dans le groupe. Les primates préfèrent s’affronter les uns les autres plutôt que de paraître faibles. Selon les psychologues, c’est exactement le même impératif, dicté par l’évolution, qui pénalise les garçons au collège, et empêche les gamins en échec d’admettre avoir besoin d’aide. Le passage du primaire au secondaire est toujours délicat, mais, comme les jeunes primates qu’ils sont, les collégiens feront tout pour éviter de reconnaître qu’ils sont dépassés. « Le garçon mesure chacun de ses actes et de ses mots à l’aune de cet unique critère : est-ce que cela me donne l’air faible ? Et si la réponse est oui, il ne le fera pas », écrit Michael Thompson. C’est l’une des raisons pour lesquelles les jeux vidéo ont une telle emprise sur eux : il y a constamment de l’action, chacun peut choisir son niveau de défi, et quand on perd, c’est à l’abri des regards.
Quand Brian Jones est arrivé en cinquième, il n’a jamais admis combien il se sentait vulnérable. « J’ai perdu pied et je n’ai jamais pu rattraper mon retard », reconnaît-il aujourd’hui, à l’âge de 17 ans, alors qu’il est en pension. Quand ses parents ont tenté de lui donner un coup de main, il les a rembarrés. Quand Anita, sa mère, a voulu l’aider à organiser son travail personnel, il s’est montré évasif sur les dates de remise de ses devoirs. Anita ne savait pas vers qui se tourner pour trouver de l’aide. L’école de Brian disposait d’un programme spécial pour les enfants précoces et d’un système d’assistance pour les élèves en difficulté. « Mais que faites-vous pour les enfants comme mon fils qui se situent au milieu, et qui ont du mal ? » a demandé Anita aux professeurs. Ces gamins-là, a répondu l’un des enseignants, « sont ceux qui passent à la trappe ».
On comprend que les collégiens se sentent désarmés. Les filles atteignent leur maturité sexuelle deux ans avant eux ; et d’autres différences moins visibles jouent en leur défaveur. Le cortex préfrontal est une région grumeleuse du cerveau, située juste derrière le front, que les scientifiques pensent responsable de l’organisation de nos pensées complexes, du contrôle de nos impulsions et de l’évaluation des conséquences de nos comportements. Au cours des cinq dernières années, le professeur Jay Giedd, un spécialiste du développement du cerveau aux National Institutes of Health, a démontré à l’aide de scanners que le cortex préfrontal atteint son épaisseur maximale chez les filles à l’âge de 11 ans, et qu’il continue à se développer pendant au moins une dizaine d’années ; chez les garçons, le processus intervient avec un retard de dix-huit mois.
Une moindre maturité cérébrale
Il se peut aussi que les collégiens utilisent leur cerveau d’une façon moins efficace. Grâce à un type d’IRM qui trace l’activité cérébrale, Deborah Yurgelun-Todd, directrice du laboratoire de neuro-imagerie cognitive à l’hôpital McLean de Belmont, Massachusetts, a pu tester les circuits d’activité du cortex préfrontal chez des sujets de 11 à 18 ans. Confrontées à des images de personnes en pleurs, les filles activent la partie droite du cortex préfrontal, comme les adultes. Chez les adolescents mâles, en revanche, ce sont les deux côtés du cortex qui sont utilisés, ce qui témoigne d’une moindre maturité cérébrale. Le traitement de l’information est en outre plus rapide chez les adolescentes. Dans une étude publiée par la revue scientifique Intelligence, des chercheurs de l’université Vanderbilt ont soumis huit mille garçons et filles de 5 à 18 ans à des tests chronométrés de sélection d’objets similaires et d’appariement de nombres. En maternelle, la vitesse de traitement de l’information est à peu près identique. Au début de l’adolescence, les filles sont plus rapides et font preuve de plus de précision. À partir de 18 ans, il n’y a plus de différence, ni de précision ni de rapidité.
Les scientifiques le soulignent, la recherche cérébrale n’est pas tout : il faut aussi prendre en compte le caractère de l’individu, le milieu familial, l’environnement, qui jouent un rôle essentiel. Il y a des garçons aussi bien organisés et sûrs d’eux que les filles les plus brillantes. Et tous les enfants peuvent être perturbés par les problèmes de violence, d’alcool ou de drogue dans la famille. Il n’en reste pas moins que, « si votre cerveau n’a pas encore atteint sa maturité, il ne pourra pas jouer son rôle de façon optimale », explique Yurgelun-Todd.
À travers l’Amérique, certains pédagogues sont en train de ressusciter une vieille idée : séparer les garçons des filles. Au collège Roncalli de Pueblo, dans le Colorado, la direction affirme que la séparation est bénéfique pour les uns comme les autres. Dernièrement, avec l’accord des parents, le conseiller d’éducation a, pour les matières fondamentales, réparti de façon aléatoire cinquante élèves de sixième dans des classes non mixtes. Quand le professeur de sciences naturelles Pat Farrell donne comme travail de laboratoire la mesure des cristaux, les filles rassemblent tout le matériel nécessaire (un bec Bunsen, un flacon de salicylate de phényle, une cuillère), elles lisent soigneusement les instructions et les suivent scrupuleusement de bout en bout. Les garçons, au contraire, commencent par poser la question : « Est-ce que ça se mange ? » Ils sont moins bien organisés, mais, fait remarquer Pat Farrell, « souvent prêts à en faire plus que ce qu’on ne le leur demande ». Avec cela en tête, le professeur distribue aux deux groupes les instructions écrites, mais revient dessus étape par étape avec les garçons. Il est encore trop tôt pour crier victoire, mais les premiers signes sont encourageants : les plus timides des adolescents s’impliquent beaucoup plus. Et si c’est la classe féminine qui a obtenu les meilleurs résultats en maths, elle est suivie immédiatement par la classe masculine, le groupe mixte venant en dernier.
Une génération de garçons sans père
L’un des indicateurs qui permettent le mieux de prédire si un garçon réussira ou non au lycée tient en une seule question : y a-t-il dans sa vie un homme qui puisse lui servir de modèle ? Trop souvent, la réponse est non. La fréquence des divorces et le grand nombre de mères célibataires ont créé une génération de garçons sans pères. Dans tous les types de quartiers, riches ou pauvres, un nombre croissant d’entre eux sont élevés sans leur géniteur (12).
Les psychologues font valoir que les grands-pères ou les oncles peuvent apporter une aide, tout en soulignant qu’un adolescent sans figure paternelle est comme un explorateur sans carte. C’est encore plus vrai pour les garçons de milieux pauvres ou ceux qui ont des difficultés scolaires. Un homme plus âgé, explique Michael Gurian, sert au jeune de modèle en matière de maîtrise de soi et d’habitudes de travail. Qu’il soit en permanence sur son dos à propos de ses notes ou le presse d’être à l’heure en classe, « l’homme plus âgé rappelle au jeune, d’une multitude de façons, que l’école est essentielle pour réussir sa vie ».
Autrefois, les garçons avaient moult occasions d’apprendre de leurs aînés. Ils pouvaient être flanqués d’un précepteur, placés comme apprentis, ou employés dans le magasin familial. Et le lycée leur offrait toute une panoplie de rôles qui permettait de tester ses talents de leader – chef de classe, responsable de l’almanach annuel, membre du club des débats. Aujourd’hui, à l’exception du sport, ce sont surtout les filles qui s’engagent dans ces activités.
Dans les quartiers où les pères sont moins nombreux, le taux de décrochage scolaire est catastrophique : moins de la moitié des Afro-Américains terminent leurs études secondaires. David Banks, le directeur de la Eagle Academy for Young Men de New York, l’un des quatre lycées publics de garçons du système scolaire de la ville, attend de chacun des 180 élèves non seulement qu’il obtienne son diplôme de fin d’études, mais aussi qu’il s’inscrive à l’université. Et il ne laisse rien au hasard. Presque chaque adolescent a son mentor – un policier, un avocat ou un chef d’entreprise issu du quartier, le South Bronx. L’impact de ce programme a été, dit Banks, « abyssal ». Raphael Mendez, en seconde, déclare sans ambiguïté que son mentor « est la meilleure chose qui [lui] soit jamais arrivée ». Avant d’aller à la Eagle Academy, Raphael ne rêvait que de devenir joueur de baseball professionnel. Mais son mentor, procureur adjoint du Bronx, lui a montré une autre façon de réussir dans la vie : il envisage désormais d’aller à la fac pour apprendre la médecine légale.
Complètement exclus
Les universités seraient ravies d’avoir plus de candidats comme Raphael. Dans bien des établissements publics, les filles pèsent déjà pour 60 % dans la balance. Rétablir l’équilibre, estime Ange Peterson, président de l’Association américaine des administrateurs scolaires, exigerait une sérieuse réforme des établissements primaires et secondaires. « Il existe, dit-il, un groupe entier de jeunes hommes complètement exclus sur le plan éducatif. »
Pour Nikolas Arnold, en première au lycée public de Santa Monica, en Californie, l’université n’est plus qu’un rêve lointain. Nikolas est intelligent, avec une connaissance encyclopédique des armes et de la guerre. Mais, dès le CP, son directeur a dit à sa mère, une veuve, qu’il n’était pas assez mûr et devrait suivre un traitement contre le TDA/H. Elle en a été indignée. « Pas assez mûr ? À 6 ans et demi ! » Nikolas a toujours été un lecteur précoce, mais ses résultats sont irréguliers. L’année dernière, quand son professeur de littérature a mis au programme deux livres très appréciés des filles, Geisha [LGF, 2008] et Le Secret des abeilles [J’ai Lu, 2005], il a obtenu une note calamiteuse. Mais, depuis quelque temps, il apprécie son prof de maths et s’est pris d’intérêt pour l’arithmétique. Il participe plus et ce garçon d’ordinaire plutôt discret en classe a vu ses notes progresser un peu. Sa mère, qui envisage pour lui l’université, se prend à espérer que son fils soit enfin en train de prendre ses marques. Ce n’est pas parce que les filles ont de bonnes notes, lui dit-elle, que les garçons ne peuvent pas y arriver aussi.
Cet article est paru dans Newsweek le 29 janvier 2006. Il a été traduit par Jean-Louis de Montesquiou.
Notes
1| En France, 38 % des garçons disent s’ennuyer à l’école, contre 29 % des filles.
2| 43 % en 2010.
3| Raising Cain (« Éduquer Caïn »), Ballantine Books, 2000.
4| Real Boys: Rescuing our Sons from the Myths of Boyhood (« De vrais garçons : comment sauver nos fils des mythes virils »), Owl Publishing, 1999.
5| Les deux tests américains concurrents qui servent à évaluer les candidats à l’entrée dans une université continuent (2012) de témoigner d’un avantage aux garçons en mathématiques, plus prononcé dans un test que dans l’autre. En France, les filles récoltent désormais plus de mentions « très bien » et « bien » au bac S que les garçons.
6| Les écoles américaines proposent diverses méthodes d’« accélération » pour les bons élèves.
7| C’est ce que fait traditionnellement l’État français au plan national.
8| Une tradition anglo-saxonne était de permettre aux enfants de couper la matinée en allant une demi-heure s’ébattre et jouer au ballon sur le terrain attenant à l’école.
9| Aux États-Unis, 15 % de garçons d’âge scolaire ont été diagnostiqués TDA/H en 2011-2012, contre 7 % de filles.
10| Il s’agit de filles dont la mère s’est vu prescrire une progestérone de synthèse qui a stimulé les récepteurs des androgènes.
11| « Nos garçons – mieux les comprendre pour mieux les élever », Albin Michel, 2011.
12| 24 % des enfants américains de moins de 18 ans vivent avec leur mère seule (2010). En France, c’est le cas de 17,7 % des « enfants » de moins de 25 ans (INSEE).
Pour aller plus loin
En anglais
• Michael Kimmel, Guyland: the Perilous World Where Boys Become Men (« L’univers des mecs : le monde périlleux où les garçons deviennent hommes »), HarperCollins, 2008. Sur les garçons « décrocheurs » qui jouent les durs. Par un sociologue auteur d’une histoire remarquée de la masculinité aux États-Unis.?
• Kathleen Parker, Save the Males: Why Men Matter and Why Women Should Care (« Sauvez les mâles. Pourquoi les hommes comptent et pourquoi les femmes devraient s’en préoccuper »), Random House, 2008. Par une journaliste conservatrice.?
• Lionel Tiger, The Decline of Males, Diane Pub Co, 1999. Par un anthropologue américain renommé. Avec Susan Faludi (lire p. 42), il est le premier à avoir ouvert le feu à propos du « déclin du mâle ».
En français?
• Anthony Clare, Où sont les hommes ? La masculinité en crise, Les éditions de l’Homme, 2004. Par un psychiatre irlandais (la version anglaise date de 2001).?
• Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, tome 3 : La virilité en crise ?, Seuil, 2011. Par un collectif d’historiens.