L’invention de la nuit de huit heures
Publié le 29 septembre 2016. Par La rédaction de Books.
Domenico Fetti
Il est trois heures du matin et vous fixez le réveil, les yeux grands ouverts, l’esprit alerte. Non, vous n’êtes pas insomniaque. Rien de plus normal, même. Car la nuit de huit heures d’une traite n’a rien d’obligatoire, ni même de normal. Avant la fin du XVIIe siècle, elle n’existait tout simplement pas, assure l’historien Roger Ekirch. Dans At Day’s Close: Night in Times Past, il étudie les habitudes de sommeil de nos ancêtres de l’ère pré-moderne (1500-1750). Journaux intimes, compte-rendus d’audiences, romans ou ouvrages médicaux mentionnent tous la pratique d’une nuit en deux temps. Un premier repos après le dîner, puis une à deux heures d’éveil vers minuit et enfin un nouveau temps de sommeil avant le matin. Ils font même plus que mentionner ce rythme, ils l’évoquent comme s’il était courant. Cette nuit en deux temps semble avoir été la norme pendant de nombreux siècles et partout dans le monde. Selon Ekirch, elle correspondrait à un modèle de sommeil naturel. Les heures de veille au milieu de la nuit servant de temps de repos pour évacuer le stress. Les premiers diagnostics d’insomnie ne sont apparus qu’à la fin du XIXe siècle, après l’adoption généralisée de la « nuit complète ».
Que faisaient nos ancêtres pendant leurs heures éveillées du milieu de la nuit ? Ils priaient, mangeaient, s’aimaient, lisaient, discutaient, se reposaient. De nombreux livres de prières du XVe siècle proposent des formes spéciales de dévotion pour ce moment précis, souligne Ekirch. Un médecin français du XVIe siècle assure, lui, que c’est le meilleur moment pour concevoir. Puis le recours généralisé à l’éclairage dans les rues et les foyers a transformé les usages nocturnes. Dans les milieux urbains aisés d’Europe du Nord, on s’amuse à la lumière des bougies et des réverbères. Les références au premier et au deuxième sommeil commencent à disparaître à la fin du XVIIe siècle. Deux cents ans plus tard, au début des années 1900, plus personne ne pratique ni ne se souvient de ce rythme.
En savoir plus : Ces horloges internes qui nous gouvernent, Books, mai 2009 ; L’invention de la vie nocturne, Books, avril 2012.