Pourquoi l’Amérique hait les intellos
Quel que soit le résultat de l’élection, demain, la question hantera sans doute longtemps encore la société américaine : comment un homme aussi brutal, inculte, incompétent et vulgaire que Donald Trump a-t-il pu parvenir à ce niveau de la vie politique ? Le phénomène est cependant moins étonnant qu’il y paraît. Trump est, à bien des égards, le produit de cette idéologie qui a accompagné la construction du pays : l’anti-intellectualisme. En 1963 déjà, l’historien Richard Hofstadter alertait sur cette face obscure de la démocratie américaine dans Anti-Intellectualism in American Life.
L’hostilité envers les intellectuels, la méfiance pour tout ce qui relève de l’esprit critique et de la réflexion théorique apparaît en effet très tôt. « II est ironique, constate d’ailleurs Hofstadter, que les États-Unis aient été fondés par des intellectuels. Car tout au long de notre histoire politique, ou presque, on a traité cette figure en marginal (outsider), en serviteur ou en bouc émissaire. » L’historien l’explique notamment par la montée en puissance des sectes évangéliques au début du XIXe siècle, mouvements qui reposent (contrairement au puritanisme des origines) sur la confiance en l’intuition de l’homme du commun plus qu’en la doctrine et le savoir. Parallèlement, les Etats-Unis glorifient l’homme d’action (aventurier ou homme d’affaires). Les conditions de vie des pionniers conduisent à valoriser les connaissances pratiques, l’ingéniosité, la compétence technique. Et le système scolaire est façonné à l’avenant, pour obéir à un impératif d’utilité : l’anti-intellectualisme a toujours été présent dans l’enseignement américain, insiste Hofstadter. Selon lui, le secondaire « forme » des individus qui ne sauront rien et n’auront guère les moyens de s’en apercevoir – d’autant moins qu’ils seront ensuite soumis à un véritable matraquage publicitaire par les moyens de communication de masse aux mains des entreprises privées. Et c’est bien là le nœud du problème pour Susan Jacoby. Dans The Age of American Unreason, elle souligne que la question n’est pas seulement l’ampleur de l’ignorance des citoyens, attestée par nombre d’études qu’elle cite (un Américain sur cinq, par exemple, pense que le soleil tourne autour de la Terre). Le pire, c’est qu’ils sont persuadés que davantage de savoir ne leur servirait à rien.