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Elucubrations martiennes


Crédit : NASA

La Nasa devait tester aujourd’hui le plus grand parachute supersonique jamais déployé. Une technologie indispensable pour un atterrissage en douceur des vols habités sur Mars. Ce voyage faisait rêver l’astronome français Camille Flammarion. A la fin du XIXe siècle, il a compilé toutes les données connues à propos de la planète rouge. Dans Excursions dans le ciel, il assure que les hommes en savent plus sur Mars que sur la Terre. Et va jusqu’à imaginer « l’humanité martienne ».

A moins d’avoir une pierre à la place du cœur et un paquet de graisse à la place du cerveau, il serait difficile de ne pas ressentir quelque émotion devant la puissance de la science. Si nous déclarons, par exemple, que nous connaissons mieux l’ensemble de la géographie de Mars que l’on ne connaissait naguère encore celle de notre propre globe, l’auditeur ou le lecteur est d’abord porté à quelque scepticisme. Mais si nous lui montrons, soit dans un instrument, soit sur un dessin, les neiges du pôle Nord ou du pôle Sud de Mars, il constatera qu’il serait impossible à qui que ce fût d’en faire autant pour la Terre, et saura ainsi avec évidence que nous connaissons mieux ces régions que les nôtres. C’est déjà là un fait digne d’intérêt ; mais nous pouvons aller un peu plus loin.

Ce n’est pas seulement le pôle, ce sont toutes les contrées environnantes qui sont mieux connues pour Mars que pour la Terre, non seulement au point de vue géographique, mais encore au point de vue météorologique. Ainsi, par exemple, nous pouvons presque constamment mesurer l’étendue des neiges polaires et nous constatons qu’elle varie avec les saisons. Nous voyons fondre ces neiges, éclairées et échauffées par le soleil, très rapidement, de jour en jour pour ainsi dire, en un été deux fois plus long que le nôtre. Ces neiges fondent presque entièrement, et il ne reste qu’un peu de glace sur un pays que nous connaissons et qui représente le pôle du froid, à 340 kilomètres du pôle géographique austral. Aucun de ces détails n’est connu pour la Terre, et peut-être même les habitants de Mars en sont-ils ignorants, s’ils n’ont pu atteindre leurs pôles. Cependant, puisque la mer y est libre à la fin de l’été, ils sont en de bien meilleures conditions que nous pour l’exploration de leurs régions polaires.

Nous pouvons remarquer aussi qu’en général la météorologie et la climatologie de Mars sont mieux déterminées que celles de la Terre. Au moment où vous lisez ces lignes, vous ignorez, et personne ne pourrait vous l’apprendre, quel temps vous aurez demain. Eh bien, nous savons presque sûrement d’avance quel temps il fera demain, la semaine ou le mois prochains, dans tel ou tel pays de Mars ; si nous n’attendons pas l’hiver, nous savons qu’il y fera beau. On n’aperçoit, pour ainsi dire, jamais un nuage entre l’équinoxe de printemps et l’équinoxe d’automne, ni dans les régions équatoriales, ni dans les régions tempérées, ni même dans les régions circompolaires. Lorsque nous ne pouvons pas faire au télescope un dessin de Mars, l’obstacle ne vient presque jamais de son atmosphère, constamment pure et transparente, mais de la nôtre, si souvent couverte ou troublée. Toutes les configurations géographiques, mers, rivages, îles, presqu’îles, embouchures de fleuves ou canaux, sont dessinées avec précision nous savons d’avance quelle est la contrée qui va passer dans le champ de la lunette et la durée de la rotation de la planète est connue à un centième de seconde près ! Elle est de 24 heures 37 minutes 22 secondes 65 centièmes.

Nous savons aussi que l’année de Mars est de 59 355041 secondes, c’est-à-dire de 686 jours 23 heures 30 minutes 41 secondes. Mais comme ce monde tourne sur lui-même un peu plus lentement que le nôtre, il n’y a que 668 de ses jours dans son année. En fait, le calendrier des habitants de Mars se compose de deux années consécutives de 668 jours et d’une année bissextile de 669. De même que chez nous, il n’y a pas un nombre exact de jours dans l’année martienne. On aura dû aussi réformer plus d’une fois le calendrier sans le rendre parfait. Mais on peut espérer qu’ils ne sont pas aussi illogiques que nous, qui appelons septième, huitième, neuvième et dixième mois de l’année les neuvième, dixième, onzième et douzième mois; qui ne savons pas nous entendre pour les dates, la Russie n’arrivant au 1er janvier que quand le reste du monde civilisé est au 13; qui avons trois espèces de jours : le civil qui commence à minuit, l’astronomique qui commence au midi suivant, et le nautique qui commence au midi précédent ; qui n’avons aucune heure exacte, puisqu’elles sont comptées de méridiens de convention, et qui n’avons pas encore pu nous entendre pour partir d’un méridien unique.

Etant, selon toute probabilité, plus avancée que la nôtre dans son âge planétaire, l’humanité martienne doit être un peu plus raisonnable et n’être plus empêtrée dans les mesquineries de frontières, de dialectes, de douanes, de rivalités nationales, etc. Sans doute ne forme-t-elle depuis longtemps qu’une seule et même unité.

LE LIVRE
LE LIVRE

Excursions dans le ciel de Camille Flammarion, Flammarion, 1898

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