Le racisme biologique n’est pas mort
Publié en novembre 2011. Par Michel Wieviorka.
Depuis une bonne trentaine d’années s’impose à juste titre dans les sciences sociales l’idée que le racisme se transforme considérablement. Sous ses formes classiques et ses références biologiques, il serait en voie de disparition, tandis que d’autres formes subtiles, indirectes, voilées viendraient lui succéder. C’est d’abord, dès la fin des années 60, le constat d’une prégnance d’un racisme « institutionnel », dit parfois aussi « systémique », qui s’est imposé, à propos de l’emploi dans les entreprises, de l’accès au logement, à l’éducation, à la santé, etc. : tous ces systèmes excluent ou discriminent sans que personne ne soit explicitement raciste, ont expliqué, parmi les premiers, dans leur livre Black Power Stokely Carmichael et Charles Hamilton, leaders d’un mouvement tenté par la violence dans une phase de retombée des espoirs liés aux luttes de la période antérieure pour les droits civiques. À les suivre, la structure même de la société fabrique la discrimination tout en dispensant ceux qui en bénéficient d’avoir à exprimer ouvertement des préjugés racistes, ou d’avoir mauvaise conscience.
Dix ans plus tard, les spécialistes se sont mis à parler aux États-Unis de « racisme symbolique », au Royaume-Uni de « nouveau racisme », puis, en France, de racisme « différencialiste », ou « culturel » – en fait pour rendre compte d’une nouvelle logique du racisme consistant non plus à inférioriser ses victimes au nom de la couleur de leur peau, de leur type de chevelure, de la forme de leur crâne, etc., mais à les tenir à distance, voire à les expulser ou à les détruire au nom d’une différence culturelle irréductible. Les Noirs, du point de vue du racisme « symbolique », ne pourraient jamais partager le « credo » américain, la foi dans le travail et dans la famille ; les migrants d’origine nord-africaine ne pourront jamais s’intégrer à la culture ou à la nation française, etc.
Ces diverses approches ont eu le mérite de souligner l’existence d’une évolution sensible, de montrer les liens entre religion ou culture et formes contemporaines de haine de l’autre et de violences. Mais elles ont aussi sous-estimé la prégnance du racisme le plus traditionnel, biologique. La sociologie américaine a ici une responsabilité particulière, en ayant pertinemment adopté à propos du racisme l’idée, qui peut synthétiser les propositions sur le racisme institutionnel ou symbolique, selon laquelle que la race est une construction sociale. Elle a cru que cette idée était en voie de s’imposer, et tout d’abord dans l’éducation.