La saga du baclofène (5) – Deux livres, un même message d’espoir
Publié en avril 2013. Par Bernard Granger.
Les éditions Le Publieur et l’association Aubes ont présenté en juin 2012 un recueil de témoignages sur le traitement par le baclofène de l’alcoolisme et autres addictions sous le titre Indifférence. Plus récemment, le docteur Renaud de Beaurepaire s’est entretenu avec la journaliste Claude Servent-Schreiber dans un livre que viennent de publier les éditions Albin Michel, Vérités et mensonges sur le baclofène, la guérison de l’alcoolisme.
Indifférence raconte à la première personne la vie de dix-huit hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions. Chaque témoignage commence par un portrait photo, souvent à visage découvert. Ce livre émouvant et courageux montre comment l’alcool aurait définitivement brisé la vie de ces rescapés si le baclofène ne les avait pas mis sur la voie du rétablissement. Chaque cas est singulier et beaucoup plus riche en enseignements que toutes les publications scientifiques déjà consacrées à ce médicament. Ces récits, dont on trouve beaucoup d’autres exemples sur Internet, sont des documents qui ne laissent aucun doute sur l’intérêt du baclofène comme traitement de l’alcoolo-dépendance. Au-delà des particularités individuelles, les grandes lignes qui se dégagent de ces histoires sont identiques : grâce au baclofène s’instaure progressivement ou brutalement une indifférence à l’alcool et la fin de l’addiction. Écoutons Alain : « Je suis marié depuis 40 ans, j’ai deux enfants. […] Vers 18-20 ans, je faisais beaucoup de sport. Avec les collègues du football, on buvait peu d’alcool mais avec le recul je me suis rendu compte que dès que je goûtais à l’alcool, ça me plaisait. […] Après l’armée, je suis devenu un consommateur régulier d’alcool. […] C’était un besoin qui a très vite détraqué ma santé parce que mon foie réagissait mal. Un peu de vin à table et surtout des apéritifs, le pastis notamment. […] Je faisais mon travail, je ne rentrais pas ivre, mais je commençais déjà à minimiser les prises d’alcool et à mentir. […] Vers l’âge de 42 ans, j’ai changé d’orientation professionnelle. […] J’ai pris un bar-tabac, dans le département de la Haute-Loire. […] Je me suis remis à l’alcool en me voilant la face. Dans le bar, je voyais beaucoup d’alcooliques. Les alcooliques, c’étaient eux. Mais en fait je buvais de plus en plus, de plus en plus tôt et en cachette. […] On a vendu ce bar-tabac en 2001. Ma femme voyait que je dérapais de plus en plus, elle se minait pour moi. On a repris une presse dans la galerie marchande d’un centre commercial à Orange. À côté, il y avait une brasserie, et j’ai replongé. […] L’abus d’alcool détraque tout, je devenais incohérent, mon cerveau commençait à déraisonner. J’étais agressif, je n’étais bien nulle part. Je m’emportais à la moindre réflexion. […] J’ai fait quatre semaines de cure en avril-mai 2009 avec Aotal et Revia. Tout allait bien. Je suis ressorti en mai et, à peine quelques mois plus tard, en septembre-octobre, j’ai bu à nouveau, cette fois par envie. Je n’en ai pas parlé à ma femme. Je planquais les bouteilles à la cave, je profitais qu’elle soit sortie pour aller les jeter au container. […] Un jour elle est rentrée à l’improviste et m’a trouvé dans la cuisine devant une bouteille de vin. C’est elle qui m’a fait découvrir le livre du professeur Ameisen. J’avais déjà lu le livre d’Hervé Chabalier, Le dernier pour la route. Je cherchais à m’en sortir parce que je me rendais compte que je faisais souffrir tout le monde. […] Je suis allé voir mon médecin traitant et je lui ai parlé du baclofène. Il ne voulait pas me le prescrire et ne voulait pas lire le livre. Je suis retourné voir mon psychologue à Villeneuve pour être hospitalisé. Lui, il connaissait le baclofène et il était prêt à le prescrire. Cette fois j’ai fait une cure du 25 mars au 20 avril 2010. Depuis lors, je suis sous baclofène et je réduis les doses. Je prends actuellement 70 mg. […] Je ne bois plus du tout et je n’ai plus aucune envie. Je suis beaucoup plus calme, j’ai beaucoup plus d’entrain, beaucoup plus d’activités, même un peu trop. J’ai repris le sport. J’ai perdu plus de 30 kg parce que j’ai fait un régime. J’ai bon appétit, je suis gourmand. Il me semble que c’est comme ça que j’aurais dû être. Je me suis aperçu que longtemps dans ma vie je croyais raisonner, mais c’était l’alcool qui raisonnait à ma place. […] Dans le frigo, j’ai des bières. J’ai du pastis et du whisky à la maison, mais je ne bois pas. Pour moi, la vie est belle. Avant, je n’étais bien nulle part. J’avais envie de tout et je n’avais envie de rien. Lorsque j’avais, je ne voulais plus. J’achetais, je jetais. Là, je viens de passer un week-end tout à fait simple à Sète. J’étais simplement heureux. »
Les résultats des études déjà publiées sur les effets du baclofène sont largement supérieurs à ce que l’on observe avec les autres thérapeutiques médicamenteuses de l’alcoolo-dépendance, mais il faut souligner aussi une différence qualitative fondamentale : la guérison procurée par le baclofène est paisible, alors que l’abstinence prônée par les autres approches est le plus souvent un combat et une torture.
Le docteur Renaud de Beaurepaire, psychiatre à l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif, est le médecin français qui a le premier prescrit du baclofène et qui en a une très large et très précieuse expérience. Son livre remarquable fait le point de façon exhaustive et détaillée sur les avantages et les inconvénients de ce traitement, résume l’ensemble des données scientifiques s’y rapportant et en décrit la mise en œuvre dans la pratique courante. Il dénonce aussi la bassesse morale et la médiocrité intellectuelle de certains opposants au baclofène qui défendent leurs intérêts plutôt que l’intérêt des patients et celui de la collectivité : « Son arrivée a fait l’effet d’un pavé dans la mare. Personne ne l’attendait. Il est venu bousculer des dizaines d’années d’habitudes. Beaucoup d’alcoologues restent dans le déni de ce qui s’est passé avec lui. Ils ne parviennent pas à accepter l’idée que c’est un médicament comme ils n’en ont jamais vu, ni même imaginé. Ils n’apprécient guère d’être interpelés par des médecins inconnus, des associations rentre-dedans, des médias qui ont trouvé là un sujet auquel le public se montre très sensible. Universitaires de renom, convaincus qu’ils n’ont de leçons à recevoir de personne, surtout pas de ceux qu’ils qualifient « d’excités du baclofène », ces spécialistes font, depuis des années, de l’obstruction. Par tous les moyens. » (p. 139). Il ajoute : « La situation des adversaires du baclofène est de plus en plus intenable. Un nombre croissant de médecins considèrent dès que guérir leurs malades est prioritaire : ils décident d’essayer le baclofène et le prescrire à des patients qui ne répondent pas aux traitements habituels. Ils se rendent alors compte, très rapidement, qu’ils disposent d’un médicament extraordinaire. Ils continuent donc de le prescrire et en parlent à leurs collègues. Les collègues prescrivent, ils en parlent à d’autres, et le nombre de prescripteurs augmentent d’une façon exponentielle. Les associations mettent la pression partout où elles le peuvent pour qu’on arrête de diaboliser le traitement, qu’on cesse d’amplifier ses effets indésirables. On en est là. Le mouvement est lancé, rien ne l’arrêtera. » (p. 159-160) Les derniers chiffres de ventes du baclofène en forte hausse (+ 50 % en un an) reflètent cette irrésistible montée en puissance.
Renaud de Beaurepaire regrette aussi l’inertie des pouvoirs publics, qu’il a fallu secouer pour qu’ils sortent de leur torpeur et commencent à avancer dans le bon sens. Il explique en quoi la prescription hors Autorisation de mise sur le marché est légale (20 % des prescriptions en France sont hors AMM sans que la Sécurité sociale ne s’en émeuve beaucoup) et considère même que refuser aujourd’hui de prescrire du baclofène à un patient alcoolo-dépendant qui le demande constitue une perte de chance pour le patient particulièrement répréhensible et opposée à l’éthique médicale.
Ces deux livres se complètent admirablement et sont une réponse à toutes les contrevérités, à tous les dénigrements, à toute la désinformation, à tout l’aveuglement, à toute l’ignorance et à toute l’hostilité intéressée des opposants à cet immense progrès thérapeutique.
Bernard Granger
Le livre de témoignages Indifférence peut être commandé auprès de l'association Aubes au prix de 19 € (prix dégressif selon le nombre d'exemplaires), ou directement sur le site lepublieur.com.