Alexandre Dumas : dans la cuisine des mousquetaires

Petit-fils d’aubergiste, l’auteur des Trois Mousquetaires était aussi gastronome et cuisinier amateur. Son Grand Dictionnaire de cuisine est le dernier ouvrage auquel il travailla. À côté d’articles de facture classique, on y découvre aussi plusieurs recettes bizarres et exotiques, qui éveillent plus la curiosité que l’appétit…

Pied d’éléphant Que ce titre n’effraye pas le lecteur, nous n’allons pas le condamner à manger tout entier ce monstrueux animal, mais nous l’engagerons, si toutefois il lui tombait une trompe ou des pieds d’éléphant sous la main, d’y goûter en les assaisonnant de la façon que nous allons indiquer plus loin, et à nous en dire après des nouvelles. La Cochinchine est peut-être aujourd’hui la seule nation qui mange la chair de l’éléphant et la regarde comme un aliment très délicat. Quand le roi en fait tuer un pour sa table, il en envoie des morceaux aux grands, ce qui est une très grande marque de faveur ; mais les morceaux les plus estimés sont toujours la trompe et les pieds. Levaillant dit que c’est un mets exquis. « Les pieds grillés, ajoute-t-il, sont un manger de roi ; je ne concevais pas qu’un animal aussi lourd, aussi matériel, pût fournir un mets aussi délicat ; je dévorai sans pain le pied de mon éléphant. » Nous allons donc indiquer, pour ceux de nos lecteurs qui voudraient faire comme Levaillant, une recette pour les pieds d’éléphant que nous devons encore à M. Duglerez de la maison Rothschild. Prenez un ou plusieurs pieds de jeunes éléphants, enlevez la peau et les os après les avoir fait dégorger pendant quatre heures à l’eau tiède. Partagez-les ensuite en quatre morceaux dans la longueur et coupez-les en deux, faites-les blanchir dans de l’eau pendant un quart d’heure, passez-les ensuite à l’eau fraîche et égouttez-les dans une serviette. Ayez ensuite une braisière qui ferme bien hermétiquement ; placez au fond de cette braisière deux tranches de jambon de Bayonne, mettez dessus vos morceaux de pieds, puis quatre oignons, une tête d’ail, quelques aromates indiens, une demi-bouteille de madère et trois cuillerées de grand bouillon. Couvrez bien ensuite votre braisière et faites cuire à petit feu pendant dix heures ; faites passer la cuisson bien dégraissée à demi-glace en y ajoutant un verre de porto et 50 petits piments que vous aurez fait blanchir à grande eau et à grand feu pour les conserver très verts. Il est nécessaire que la sauce soit très relevée et de bon goût ; veillez surtout à ce dernier point. Les Indiens ne font pas tant de façons ; il est vrai qu’ils sont moins versés que nous dans les mystères de la haute cuisine ; aussi font-ils tout simplement cuire sous la cendre, après les avoir préalablement enveloppés dans des feuilles serrées avec des fibres de jonc. Ce qui ne les empêche pas, du reste, de s’en régaler.   Filets de kanguroo sautés (…) La chair de kanguroo s’apprête comme celle du lapin de garenne avec laquelle elle a beaucoup de rapport, mais elle est plus aromatique, ce qui dépend sans doute de la nature des plantes dont il fait sa nourriture et qui sont presque toutes odorantes. Levez les deux filets d’un kanguroo, parez-les, assaisonnez et rangez-les dans une casserole plate avec du beurre fondu. Préparez un peu de jus avec les os et les débris de l’animal, passez-le, dégraissez-le, versez-le dans une casserole avec quatre cuillerées de vinaigre ; ajoutez un bouquet garni, faites réduire en demi-glace de façon à obtenir une sauce légère, faites-la cuire pendant quelques minutes à feu vif, mêlez-y deux cuillerées à bouche de gelée de groseilles et un morceau de zeste de citron, ajoutez-y, dix minutes après, une poignée de petits raisins de Corinthe ramollis à l’eau chaude, laissez cuire le tout ensemble environ une heure, puis pochez les filets au moment de servir, égouttez-les, dressez-les et masquez-les avec la sauce. Et vous aurez un plat rare et excellent.   Alexandre Dumas, Grand Dictionnaire de cuisine, Phébus, 2000 (première édition : Vuillemot, 1873).

ARTICLE ISSU DU N°67

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